La nuit des béguines d’Aline Kiner

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Quatrième de couverture :

Paris, 1310, quartier du Marais. Au grand béguinage royal, elles sont des centaines de femmes à vivre, étudier ou travailler comme bon leur semble. Refusant le mariage comme le cloître, les béguines forment une communauté inclassable, mi-religieuse mi-laïque. La vieille Ysabel, qui connaît tous les secrets des plantes et des âmes, veille sur les lieux. Mais l’arrivée d’une jeune inconnue trouble leur quiétude.
Mutique, rebelle, Maheut la Rousse fuit des noces imposées et la traque d’un inquiétant franciscain… Alors que le spectre de l’hérésie hante le royaume, qu’on s’acharne contre les Templiers et qu’en place de Grève on brûle l’une des leurs pour un manuscrit interdit, les béguines de Paris vont devoir se battre. Pour protéger Maheut, mais aussi leur indépendance et leur liberté.

Editeur : Liana Levi

Nombre de pages : 317

Prix : 11,00€

Date de publication : 20 septembre 2018

Mon Avis :

Ce roman historique avait été le coup de coeur d’une amie lors d’un Club de lecture, l’année dernière. Si je l’avais repéré, j’avoue que je l’avais un peu mis de côté, le temps que ma PAL s’allège (ce qui en vérité n’arrive pas très souvent). Or, suite au décès de l’auteure Aline Kiner, en ce début de cette année, La nuit des béguines a été de nouveau présenté par nos bibliothécaires et je l’ai emprunté. Après lecture, je rejoins l’avis de mon amie, ce roman a également été un coup de coeur (et le premier de 2019!).

A Paris, en 1310, le règne de Philippe Le Bel est mouvementé. En effet, le royaume de France traverse une crise économique tout d’abord. Le Roi a besoin d’argent et n’hésite pas à condamner ceux qui en possèdent afin de confisquer leur bien : ses cibles sont principalement les Juifs ou les marchands italiens qui pratiquent l’usure mais aussi les Templiers dont il n’hésite pas à dissoudre leur Ordre et à faire exécuter ses membres afin de mettre la main sur leur Trésor.
Mais depuis un siècle, plusieurs crises religieuses ébranlent le Royaume et l’Eglise : en effet, des mouvement contestataires apparaissent de plus en plus et réfutent le fait que la Religion soit le seul apanage des ecclésiastiques qu’ils soient séculiers (les prêtres) ou réguliers (les moines et frères). Ainsi, par leur prédication et leurs écrits en langue vulgaire, ces laïcs convertissent de plus en plus d’individus à leur vision de la Foi comme les Cathares ou les Vaudois. L’Eglise qui se voit menacée n’hésite pas à réprimer ces courants qu’elle juge hérétique : non seulement, elle décide de former à l’Université de Paris ses ecclésiastiques à la prédication pour les contrer sur leur propre terrain, mais elle éradique les « fauteurs de troubles », en les soumettant à la question par le biais de l’Inquisition, ou en les faisant condamner à mort.
C’est dans ce contexte que la béguine Marguerite Porete, originaire de Valenciennes et auteure du sulfureux Miroir des simples âmes est condamnée au bûcher sur la place de Grève, à Paris, en 1310. Or, non loin de là, la communauté des Béguines s’inquiète : la condamnation d’une des leurs ne risque-t’elle pas de trop attirer l’attention de l’Eglise sur elles? En effet, combien de temps encore, les hommes arriveront à supporter l’idée que des femmes veuves ou célibataires puissent se regrouper en communauté et vivre libres, en se passant de leur autorité?

Un roman riche et bien documenté

Si le synopsis précédent apparaît un peu long, il me semblait nécessaire de développer le contexte historique du roman afin de mieux en appréhender les enjeux. Car la force principale de La nuit des béguines réside dans une excellente documentation. D’ailleurs, la bibliographie exhaustive à la fin l’atteste, notamment par la présence d’ouvrages soit généraux sur Paris ou l’Histoire des femmes au Moyen Age (dont je vous recommande fortement la lecture de l’Histoire des femmes en Occident de Georges Duby et Michelle Perrot ou La femme au Moyen Age de Jean Verdon) soit plus spécialisés sur les béguines, Marguerite Porete ou les remèdes et jardins.

Grâce à cette documentation, le roman s’est avéré être passionnant et riche d’enseignement. Le béguinage est plutôt méconnue : il a été crée à la fin du XIIème siècle, dans les Flandres à Liège sur l’initiative du prêtre Laurent Bègue. A cela plusieurs raisons : le regain de spiritualité dans l’Occident et une sur-population féminine dûe à une mortalité masculine importante dans le contexte des Croisades. L’idée était donc de rassembler des femmes pieuses, célibataires ou veuves, en communauté. Toutefois, elle restaient laïques dans le sens où elle ne prononçaient pas leurs vœux comme les moniales. La plupart de ces femmes étaient cultivées et savaient lire et écrire mais elles travaillaient également ce qui leur conférait une certaine indépendance mal vue à l’époque. En France, c’est le Roi Louis IX (plus connu sous le nom de Saint Louis) qui fonde le premier béguinage à Paris, dans la seconde partie du XIIIème siècle. Puis, Philippe le Bel poursuit l’œuvre de son grand-père en octroyant aux béguines sa protection.

Des personnages touchants

Dans La nuit des Béguines, nous suivons l’histoire de trois béguines. Ysabel, la vieille intendante du béguinage recueille un jour une jeune femme mutique et traumatisée : Maheut la Rousse. La plaçant sous sa protection, Ysabel apprend alors qu’elle provient de Valenciennes et est issue d’une classe privilégiée. En effet, à la mort de son père, son frère a décidé de la marier de force à leur voisin afin de pacifier les relations tumultueuses entre eux. Mais, la jeune femme ne l’entend pas de cette oreille et s’enfuit. Malheureusement, au sein du béguinage, la présence de Maheut n’est pas au goût de tout le monde et encore moins à Ade, à qui Ysabel l’a imposé. Ade est une jeune veuve qui se réfugie dans la piété et l’enseignement de la lecture et de l’écriture. Elle n’a jamais pu avoir d’enfant ce qui lui manque terriblement ; aussi quand elle apprend que Maheut va devenir mère mais rejette sa fille, Ade se rapproche de l’enfant.

Le roman met en scène trois personnalités fortes et marquantes. Toutes autrefois dépendantes des hommes, se sont retrouvées du jour au lendemain en grande difficulté. En effet, la société médiévale laisse peu de place à la liberté des femmes : éternelles mineures, elles sont placées sous la tutelle de leur père ou de leur frère (si ce dernier est mort) dès leur naissance pour ensuite se retrouver sous l’obédience de leur mari. Lorsque ces femmes sont privées de cette « protection », elles peuvent rapidement tomber dans l’indigence. Dans le roman, ce qui caractérise ces femmes béguines, c’est leur solidarité et leur envie d’indépendance.

Un roman historique encore d’actualité

Aline Kiner, en dénonçant les conditions des femmes dans son roman (la violence, le viol, le mariage forcé, le risque d’indigence après un accident de la vie comme la perte de son mari, etc…), l’inscrit aussi dans notre actualité. Et le mouvement #metoo qui a pris tant d’ampleur l’année dernière prouve que des progrès restent encore à faire dans notre société contemporaine. D’ailleurs, quelques citations sorties de leur contexte historique, me semblent malheureusement tellement encore d’actualité, notamment sur la harcèlement de rue ou la culpabilisation des victimes, en cas de viol :

Il n’est jamais bon d’être une femme seule dans les rues de Paris. Leur habit les protège autant que la modestie de leur attitude. Mais, comment éviter, dans une telle foule, qu’une main vous frôle, qu’un corps se frotte contre le vôtre? (P. 87)

Les sergents sont avertis le lendemain. Mais, rien ne se passe. Ou plutôt, tout se passe comme Jeanne du Faut aurait dû l’imaginer.
« Vous l’avez laissée sortir seule? lui demande-t’on. Une fille de cet âge? »
« Et comment était-elle vêtue? »
« Quelle est son attitude habituelle? »
« Avait-elle tendance à provoquer les passants? »
On parle de Juliette, comme on parlerait d’une ribaude. (P. 256)

En conclusion, j’ai consciente d’avoir été un peu longue dans cette chronique mais il y avait tellement de choses à dire après cette lecture! Par sa documentation, ses personnages développés et touchants et son sujet toujours d’actualité sur la condition féminine, ce roman a vraiment été une lecture marquante et j’espère avoir convaincu plusieurs d’entre vous à se pencher d’un peu plus près dessus!

7 réflexions sur “La nuit des béguines d’Aline Kiner

  1. Ça a été un coup de cœur d’une amie aussi et j’avais donc décidé de le lire. Là, je suis encore plus déterminée à le découvrir (elle m’en avait parlé de façon très succincte) et ce sera donc en mars – je l’espère en tout cas 😉

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