Underground airlines de Ben H. Winters

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Quatrième de couverture : 

Amérique. De nos jours. Ou presque. Ils sont quatre. Quatre Etats du Sud des Etats-Unis à ne pas avoir aboli l’esclavage et à vivre sur l’exploitation abjecte de la détresse humaine. Mais au Nord, l’Underground Airlines permet aux esclaves évadés de rejoindre le Canada. Du moins s’ils parviennent à échapper aux chasseurs d’âmes, comme Victor. Ancien esclave contraint de travailler pour les U.S. Marshals, il va de ville en ville, pour traquer ses frères et soeurs en fuite.
Le cas de Jackdaw n’était qu’une affaire de plus… mais elle va mettre au jour un terrible secret que le gouvernement tente à tout prix de protéger.

Editeur : ActuSF

Nombre de pages : 435

Prix : 19,90€

Date de publication : 4 Octobre 2018

Mon Avis :

Après les bons avis des Blogopotes sur ce roman et le fait qu’il ait obtenu deux Prix (celui de Sidewise en 2016 et celui du Prix Imaginaire 2019 du roman étranger), il n’est donc pas étonnant que j’ai accepté le service presse proposé par ActuSF. Et à ce titre, je les remercie de me l’avoir envoyé car j’ai eu un énorme coup de coeur pour ce roman!

Dans un XXIème siècle alternatif, quatre États américains du Sud (Alabama, Mississippi, Louisiane et les deux Caroline unifiées) maintiennent encore l’esclavage. Cette « main d’oeuvre » peu coûteuse leur permettent ainsi d’avoir une économie prospère au point de supplanter les autres États et d’alimenter les marchés mondiaux en produits bon marché. Ils achètent aussi leur bonne conscience en régissant leur exploitation afin que cela paraisse acceptable aux yeux du monde (les esclaves sont par exemple appelés TA pour Travailleurs Affiliés, leur meurtre est en théorie interdit et les châtiments encadrés). Toutefois, il n’en demeure pas moins que les conditions de vie des esclaves restent effroyables au point que certains d’entre eux choisissent de s’enfuir. Pour cela, ils sont aidés par l’Underground airlines, une organisation clandestine des États du Nord qui permettent aux esclaves en fuite de rallier le Canada. C’est ainsi qu’intervient Victor, un ancien TA contraint par le Gouvernement américain d’infiltrer ce fameux réseau et de pister les fugitifs. Il est chargé de retrouver Jackdaw mais cette affaire ne va pas se dérouler exactement comme prévue…

Une uchronie…

Underground Airlines est une uchronie dont le point de rupture se situe en 1861 lorsque le Président Abraham Lincoln est assassiné (dans notre Histoire, il le sera mais quatre ans plus tard). Si les conséquences immédiates sont la fin de la Guerre de Sécession, l’abolition de l’esclavage ne sera en revanche pas promulguée en 1862 ; pire, un amendement à la Constitution permet à chaque État de choisir s’il veut le maintenir ou non et c’est ainsi que les quatre États pré-cités le confirment et l’institutionnalisent.

Le titre du roman Underground Airlines fait également référence à un réseau clandestin qui a véritablement existé au XIXème siècle mais qui s’appelait dans notre réalité Underground railroad (qui est aussi le titre éponyme du roman de Colson Whitehead sorti en 2016). Ce réseau n’était pas un chemin de fer comme le laisse entendre le terme « railroad », il permettait aux esclaves en fuite de se rendre soit au nord, au Canada soit au sud, au Mexique. Les fugitifs aidés par les organisateurs appelés « chefs de gare », se déplaçaient de nuit et de jour étaient abrités dans des lieux secrets, les « stations ». Les propriétaires d’esclaves commençaient à craindre que ces fuites ne se généralisent et ont fait appel à l’Etat pour qu’il intervienne. Ainsi, des marshalls et des chasseurs de prime ont été mandatés pour retrouver les fuyards. Le roman Underground Airlines reprend exactement le même procédé excepté que le voyage s’achève par un vol direct vers le Canada, d’où le terme « airlines ».

…efficace…

Le roman est divisé en trois parties : la première et la dernière se déroulent dans les États du Nord et la seconde, dans un Etat du Sud, celui de l’Alabama. Si le début de ma lecture a été un peu longuet (je dirais les cinquante premières pages), je ne l’ai plus lâché par la suite, le finissant très rapidement. J’ai d’ailleurs beaucoup aimé le rythme de l’intrigue menée tambour battant (cela est renforcé par les courses-poursuites et les nombreux jeux de chat et de la souris) qui alterne avec de nombreux rebondissements et des cliffhangers en fin de chapitre ou de partie.

Le personnage principal de Victor est également très intéressant dans le sens où bien qu’il soit le narrateur, non seulement il mène souvent son lecteur en bateau mais il est un personnage des plus ambivalents. Ancien TA dans un abattoir, il parvient à s’échapper en Indiana. Six ans plus tard, il est rattrapé par un Marshall qui lui propose un deal : il n’est pas livré à son ancien propriétaire en échange de quoi, il devra aider le Gouvernement à retrouver d’autres TA en fuite. N’ayant pas vraiment eu le choix, Victor accepte et c’est ainsi qu’il se retrouve à traquer ses frères. Ce personnage est vraiment très nuancé et très crédible, j’ai trouvé.

…qui dénonce les discriminations raciales aux Etats-Unis.

Cette uchronie est également l’occasion pour Ben H. Winters de dénoncer les violences à l’encontre des Noirs, dans les Etats-Unis actuelles. Cela m’a ainsi fait penser à l’essai Triste Amérique de Michel Floquet que j’avais lu il y a trois ans ainsi que l’excellent roman historique Power de Michael Mention qui retraçait le parcours du Mouvement des Black Panthers, dans les années 60 et 70. Il n’est donc pas étonnant que Underground Airlines fasse référence à ce parti alors même qu’il a été dissous dans les années 80.

Le racisme est partout présent dans le roman :
– dans les quatre États du Sud évidemment dans lesquels les Noirs sont réduits en esclavage et sont obligés de travailler dans des usines qui s’apparent à des camps de travail (le roman donne l’exemple d’un abattoir pour Victor mais Jackdaw travaillait dans une usine de vêtements). Ils subissent également des mauvais traitements que ce soit des tortures, des horaires de travail longs et difficiles, peu de protections, peu de soins, ils sont attachés, subissent des punitions physiques et morales, etc…
– dans les États du Nord où ils sont libres, ils sont parqués dans des quartiers insalubres comme celui de Freedman Town. Cela fait directement référence à la situation actuelle des Etats-Unis.

En créant des enclos comme celui-ci [Freedman Town], on ne laisse d’autres choix à ceux qui y habitent que de vivre comme des animaux. Il ne reste plus qu’à les désigner comme tel aux yeux du monde et dire Vous avez vu ces animaux? Car c’est bien le genre de personnes que c’est. Et comme ça, l’idée se diffuse dans toute la société, comme la fumée d’une usine : Noirs = pauvres et pauvres = dangereux et, petit à petit, les mots se mélangent pour devenir une seule et même idée sombre, un nuage noir dont les fumerolles nocives viennent planer dans le ciel du pays tout entier. (P. 192-193)

En conclusion, Underground Airlines est une véritable réussite et c’est ce genre de roman que j’aime mettre en avant lorsque je dois défendre les Littératures de l’Imaginaire. Possédant un double niveau de lecture, cette uchronie efficace n’est pas seulement un thriller. Au contraire, s’inspirant du passé des Etats-Unis, elle permet de dénoncer les discriminations raciales et les inégalités à l’encontre des Noirs, et ce bien qu’un Président Noir ait été élu à la Maison Blanche, entre 2009 et 2017. Bref, un roman remarquable que je recommande!

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