Chiens de guerre d’Adrian Tchaikovsky

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Quatrième de couverture : 

« Je m’appelle Rex. Je suis un bon chien ». Rex est un bon chien. C’est un biomorphe, un animal génétiquement modifié, armé de fusils-mitrailleurs de très gros calibre et doté d’une voix synthétique créée pour instiller la peur. Avec Dragon, Miel et Abeilles, son escouade d’assaut multiforme, il intervient sur des zones de combat où les humains ne peuvent se risquer. Rex est un bon chien. Il obéit aux ordres du Maître, qui lui désigne les ennemis.
Et des ennemis, il y en a beaucoup. Mais qui sont-ils réellement ? Se pourrait-il que le Maître outrepasse ses droits ? Et si le Maître n’était plus là ? Rex est un bon chien. Mais c’est surtout une arme de guerre hautement mortelle. Que se passerait-il s’il venait à se libérer de sa laisse.

Editeur : Denoël

Nombre de pages : 320

Prix : 19,90€

Date de publication : 3 octobre 2019

Mon Avis : 

Cela faisait un petit moment que je voulais lire un roman d’Adrian Tchaikovsky mais je ne voulais pas commencer par le mastodonte, Dans la toile du temps. Je me suis donc reportée sur Chiens de guerre d’autant plus qu’Apophis l’avait bien aimé et que le Lutin l’avait incorporé dans son challenge. Et bien devinez quoi? J’ai bien fait car j’ai beaucoup aimé ce roman.

Depuis que leurs intérêts sont menacés au Mexique par le groupe des Anarchistas, les multinationales décident de passer outre le droit souverain du gouvernement et font appel à la société privée Redmark pour régler le problème. Cette dernière est spécialisée dans les missions militaires et emploie pour la première fois des armes de toutes dernières générations, les biomorphes. Rex est l’un de ceux-là, un « bon chien » de guerre très résistant, rapide, efficace et obéissant aveuglément aux ordres de son maître Murray. Avec ses trois autres camarades, l’ourse Miel, le reptile Dragon et l’essaim Abeilles, ils s’employent à nettoyer la région du Campêche. Mais, pendant une opération, Rex perd le contact avec son maître pendant quelques minutes ce qui le plonge dans un profond désarroi. Bien que Miel lui demande de lui faire confiance, Rex a peur : et s’il ne prenait les bonnes décisions? Et s’il était un « vilain chien »?

Un roman de Science Fiction militaire

Je n’ai pas trop l’habitude de lire de la SF militaire (le seul que j’ai lu est le premier tome d’Annihilation de Jeff VanderMeer). Du coup, tout ce qui a pu me paraître original, ne l’est peut-être pas pour des aficionados du genre. Dans Chiens de guerre, Adrian Tchaikovsky imagine ce que pourraient être les futures armes de demain avec le développement technologique.

Au moment où débute l’intrigue, les robots (qui commencent seulement à être  développés aujourd’hui) ne sont plus utilisés car ils ont été abandonnés en raison de leur défaillance trop importante et le risque de piratage, notamment pendant la guerre du Cachemire.

Des machines piratées par des machines, jusqu’à ce que tous les programmes soient corrompus et qu’il devienne impossible de maîtriser la situation. D’un coup, plus personne ne voulait d’une armée de robots. On aurait bien dit que l’espèce humaine allait devoir continuer à faire la guerre de la manière habituelle, avec de la bonne vieille chair à canon. Mais surtout, quelques équipes visionnaires avaient vu venir le désastre et travaillaient déjà sur d’autres options. (P. 19)

Une de ces options a été les biomorphes car ils sont moins coûteux que les robots et produits en masse. Il s’agit d’animaux modifiés biologiquement (chien, ours, abeilles, reptile ou dauphin) dont le squelette a été renforcé. Des puces ont été implantées dans leur cerveau pour leur permettre non seulement de communiquer entre congénères mais également avec leur maître, en l’occurence Murray. Un module de rétroaction les empêche de désobéir aux ordres soit en le gratifiant (« bon chien) soit en le punissant (« vilain chien »). Enfin, des armes sont intégrées à leur équipement, Rex en possède deux qu’il surnomme ses « grands chiens ».

« Les créatures bioniques sont littéralement les soldats du futur » lui avait dit Murray. (…) « Intelligents, fidèles, adaptables, extrêmement résistants et même pas trop onéreux maintenant que la technologie a été développée ». (P. 38)

Nous avons sauvé beaucoup de vies durant les Guerres de l’eau. Plusieurs d’entre nous sont morts, mais nous pouvons détecter les explosifs et déceler si quelqu’un nous ment. Nous sommes plus solides que les humains, nous résistons mieux aux balles et à la soif. Et au trouble de stress post-traumatique, parce que nous avons vu beaucoup d’actes horribles commis par les humains, ainsi que les effets de la guerre – les maladies, les mines antipersonnel, les réfugiés, les familles brisées. (P. 270)

Ces biomorphes de combat ont été développés par le société Redmark. Ils sont pour la première fois utilisés sur le terrain au Campêche afin de lutter contre les Anarchistas qui menacent le gouvernement mexicain mais aussi les intérêts des multinationales présentes pour l’exploitation des mines et du pétrole. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que la société Redmark employée pour l’occasion ne fait pas dans la dentelle : car en lieu et place des rebelles, ce sont bien les civils, les premières victimes des produits chimiques ou des biomorphes employés.

Rex, un narrateur ambivalent

Je m’appelle Rex. Je suis un bon chien. (P. 9)

Rex est le narrateur principal de ce roman et il évolue beaucoup au fur et à mesure de l’intrigue. En effet, au début, son vocabulaire est simple, il ne comprend pas le second degré ni l’abstraction et ne sait pas faire la différence entre le bien et le mal. Il ne possède pas de libre-arbitre et se comporte exactement comme son maître voudrait qu’il soit. L’un des premiers chapitres racontés par Rex est glaçant car en tant qu’arme militaire, il n’a pas du tout conscience du mal qu’il inflige.

Je prends un autre petit ennemi dans mes crocs. Il se met à gigoter en criant. Une grande femelle ennemie me frappe avec ses points minuscules. Je transmets à Miel : Le Maître nous a dit d’attaquer. (…) Le petit ennemi est encore dans ma gueule mais je n’ai pas broyé son corps. Je ne suis pas content. Je n’aime pas ce que dit Miel. Quelque chose dans ses paroles me donne l’impression d’être un vilain chien. Cela ne vient pas de mon rétro-module mais du fond de moi, de là où naissent les autres sentiments. (P. 13)

Au début du roman, le lecteur découvre Rex en même temps que le personnage d’Asanto venue enquêter sur les pratiques de Murray au Campêche pour rassurer les actionnaires de Redmark. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il nous effraye autant qu’il attise notre curiosité.

Même légèrement voûté, Rex mesurait près de deux mètres quarante. Son crâne un peu aplati était à peine dépassé par les armes automatiques – ses grands chiens- montés sur les harnais de ses épaules. Il n’avait pas le physique d’un adepte de la gonflette ; plus mince, plus sec, il était conçu pour la course et le combat. Bien entendu, son corps n’est pas entièrement humain : il se déplaçait aussi bien à quatre pattes que debout. (…) Asanto devait connaître les particularités de Rex : des muscles très denses, une peau constituée de fibres résistantes aux impacts, des os creux aussi solides que des tubes en titane… (p. 25)

Puis, Rex évolue fortement au fur et à mesure de l’intrigue : s’il est aidé de prime abord par deux humains qui lui brise ses chaînes, c’est bien l’ourse intelligente Miel qui va lui offrir son indépendance en lui donnant une nouvelle voix moins robotique et moins effrayante. Rex va pouvoir communiquer de plus en plus avec les humains, améliorer son vocabulaire et sa manière de s’exprimer (cela se ressent dans le texte), avoir le courage de prendre des décisions (bien que ceci lui fasse peur), avoir une meilleure vue d’ensemble sur le monde qui l’entoure, faire la différence entre le bien et le mal mais surtout bien distinguer ses ennemis par lui-même. Le lecteur s’habitue peu à peu à Rex et le trouve finalement attachant.

Plusieurs niveaux de lecture

Adrian Tchaikovsky profite également de son roman pour glisser plusieurs messages afin d’amener son lecteur à réfléchir sur le monde qui l’entoure.

Tout d’abord, l’auteur apporte quelques réflexions philosophiques. En effet, si les robots utilisés au Cachemire étaient de simples outils, les biomorphes quant à eux sont doués d’une sensibilité et se battent par l’intermédiaire de Rex afin de faire reconnaître leurs droits. Se posent alors plusieurs questions : les biomorphes ont-ils une âme? Peuvent-ils être considérés comme des êtres vivants? Qui est responsable de leurs actes perpétrés au Campêche? L’entreprise Redmark qui a financé la conception des biomorphes? Leur créateur? Murray qui les commandait? Ou les biomorphes eux-mêmes?

De plus, Adrian Tchaïkovski dénonce les dérives des hommes :
soit en leur faisant répéter les mêmes erreurs. Les Humains éprouvent de la peur vis à vis de leur création et ne leur font pas confiance. Ils décident donc de les réunir dans des camps de détention dont l’un, la « Fourrière » se trouve sur une île au large de New York. A l’intérieur, les conditions sont sommaires et la loi du plus fort règne. Les biomorphes sont également mal nourris mais ont la possibilité de sortir pour effectuer des travaux ingrats et mal payés comme la garde rapprochée ou la manutention. Ils sont également victimes de racisme et de discriminations comme le sont quelques minorités ethniques aujourd’hui.

Les dirigeants ont accepté parce qu’ils considéraient que nous étions des consommables. Si un humain est tué, c’est une tragédie. Si une centaine de biomorphes sont tués, c’est une statistique. (P. 270)

– soit en imaginant ce que pourrait être le futur au regard de notre actualité. Ainsi, il dénonce les pratiques des multinationales qui agissent non dans un but démocratique mais lucratif. En effet, les sociétés d’exploitation minière et pétrolière n’hésitent pas à faire de l’ingérence au Mexique afin de préserver leurs intérêts économiques en employant la société privée Redmark pour régler le problème de l’insurrection. Si l’on en est pas encore à ce point (ou pas?), on peut prendre en exemple la Guerre en Irak déclarée par les Américains en 2001 : sous prétexte d’une lutte contre le terrorisme, il s’agissait en réalité d’avoir la mainmise sur le contrôle des puits de pétrole. Si cette guerre avait bien été conduite par un gouvernement, qui sait si des multinationales n’ont pas joué leur rôle dans l’affaire? (Du coup, je vous conseille la lecture de l’excellent commentaire d’Apophis ci-dessous qui répond finalement à ma question).

En conclusion, Chiens de guerre est un excellent roman de Science Fiction militaire qui m’a fait sortir des sentiers battus. En effet, je l’ai trouvé original car j’ai encore très peu lu dans ce sous-genre de la SF. Les futurs technologies développées ont été sujettes à émerveillement pour ma part (et d’appréhension!). Quant à Rex, il est un personnage très ambivalent mais dont le développement le rend de plus en plus intéressant et attachant au fur et à mesure de l’intrigue. Enfin, l’auteur glisse quelques messages philosophiques ou mises en garde afin de faire réfléchir son lecteur et de donner un double niveau de lecture à son roman. Bref, une lecture passionnante que je recommande.

Autre Avis : 

Albédo (pas encore, mais je suis sûre que tu vas le lire!)

Apophis en VO

Apophis en VF

L’épaule d’Orion en VO

19 commentaires

  1. (merci pour les liens)

    Très bonne critique ! Je suis content que tu aies aimé, car je n’étais pas certain que l’aspect militaire allait passer chez des lecteurs pas forcément férus de ce type de SF. Je te rejoins sur l’habileté de la narration, l’évolution de Rex se ressentant rien qu’au niveau de langage employé.

    Concernant l’implication des multinationales dans la seconde invasion de l’Iraq puis la présence US là-bas, elle a été beaucoup plus lourde que ce que le grand public imagine. Beaucoup de Sociétés Militaires Privées (la version moderne des compagnies de mercenaires) ou de firmes privées spécialisées dans le secteur de la Défense taille XXL étaient impliquées, à commencer par KBR et Blackwater, que ce soit pour de la logistique ou pour assurer la sécurité, faire de la formation, etc (officiellement, ils ne participaient pas aux combats, mais officieusement, c’est une tout autre histoire). Fin 2006, il y avait près de 140 000 employés de SMP en Irak. Et certains ont été impliqués dans des scandales, comme un traitement inhumain de prisonniers ou de civils, la sur-facturation de services au gouvernement américain, et j’en passe. Gouvernement qui, d’ailleurs, a fait appel à Blackwater sur son propre sol, pour mettre fin aux pillages en Louisiane après l’ouragan Katrina. OU le maintien de l’ordre assuré… par des mercenaires, ex-militaires pour l’écrasante majorité. Si le sujet t’intéresse, je te recommande l’édifiant livre « Blackwater – l’ascension de l’armée privée la plus puissante du monde » par Jeremy Scahill.

    Sinon, pour un roman sorti il y a bientôt deux mois, je trouve le nombre de critiques famélique, pour ma part. C’est dommage parce que c’est vraiment une lecture intéressante. J’espère que ta chronique incitera plus de monde à s’y mettre 😉

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