À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner

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Quatrième de couverture : 

Richard Saint-Vière est le meilleur duelliste des Bords-d’Eaux. Cela n’empêche pas le bretteur de se retrouver entraîné avec Alec, son amant, dans les intrigues des nobles de la Colline. L’honneur sera-t-il suffisant pour les déjouer ? Avec ses joutes d’escrime aussi bien que verbales, À la pointe de l’épée – un mélodrame de mœurs revient dans une édition augmentée de nouvelles (dont certaines inédites en français), mais aussi de textes en exclusivité mondiale : les lettres d’Octavia Saint-Vière.

Editeur : ActuSF

Nombre de pages : 541

Prix : 24,90€

Date de publication : 11 Octobre 2019

Mon Avis :

À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner m’a été proposée en Service Presse par les éditions ActuSF et je remercie à ce titre Jérôme Vincent et Gaëlle Giroulet pour l’envoi de l’ouvrage. Je ne connaissais l’auteure que de nom et j’étais très intriguée par la quatrième de couverture. Aussi, je ne regrette pas du tout mon choix car finalement j’ai eu un véritable coup de coeur!

Depuis son arrivée dans le quartier malfamé des Bords-d’Eaux, Richard de Saint Vière s’est taillé une solide réputation. Fine lame et bretteur invaincu, il a défait en duel tous ses concurrents attirant ainsi les foules. Sa renommée a même franchi les Bords-d’Eaux pour grimper jusqu’au sommet de la Colline où résident les riches familles aristocratiques. Et pour régler une dette d’honneur, elles sont prêtes à payer fort cher pour que le célèbre duelliste s’acquitte de cette tâche. Mais, un jour, Richard et son amant Alec se retrouvent entraînés bien malgré eux dans des intrigues qui les dépassent…

Un magnifique livre-objet

Avant de débuter cette chronique, je tenais particulièrement à dire quelques mots sur le livre-objet en lui-même (et on va passer sur la Poste peu précautionneuse qui a abîmé le plat et la gouttière de l’ouvrage…). Bref, les éditions ActuSF ont repris l’esthétique des livres anciens notamment par la présence d’une couverture épaisse en carton serti de dorures et à la coloration bordeaux qui imite le cuir. Le livre possède également des tranchefiles jaunes et un signet en tissu de la même couleur (d’ailleurs, mon chat l’a adoré et s’est particulièrement amusé avec pour attirer mon attention pendant ma lecture!). De bonne qualité, le papier est épais et les pages cousues, je peux donc espérer que ce livre durera dans le temps.

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Cette édition collector propose le roman À la pointe de l’épée enrichi de quatre lettres inédites et de cinq nouvelles dont quatre (Un jeune homme de mauvaise vie, Au temps où j’étais brigand, Le bretteur qui n’était pas la mort et Le Duc des Bords-d’Eaux) ont été préalablement publiées dans le magazine SF Fictions. Hormis la nouvelle bonus Cape rouge, tous les textes sont disposés de manière chronologique ce qui confère une certaine cohérence à l’ensemble.

Un univers riche et immersif inspiré de la Renaissance Italienne?

Préface :

Le monde imaginé par Ellen Kushner – dont la culture embrasse l’histoire et la littérature françaises, et au-delà celles de l’Europe – renvoie aux Villes-Etats de l’Italie de la Renaissance comme Florence ou Venise, où de grandes familles s’affrontaient pour le pouvoir. (P. 12)

Vous connaissez mon amour pour cette période et vous pouvez fort bien imaginer ma joie lorsque j’ai lu ces lignes dans la préface de Stéphanie Nicot! En effet, je m’attendais plutôt à un récit dans le style des Trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas et à un contexte historique plutôt XVIIème siècle. Finalement après lecture, je ne suis pas tout à fait d’accord avec ce qui est évoqué dans la préface, je pense qu’Ellen Kushner s’est inspiré de différentes époques finalement.

Par exemple, deux éléments de l’intrigue m’ont fait penser à la période romaine, notamment à la République (509 avant J.-C. et 27 avant J.-C.) :
– Dans le roman, la cité est gouvernée par une oligarchie composée des plus grandes familles aristocratiques. Effectivement ce mode de gouvernement peut faire penser à celle en vigueur dans les cités italiennes comme Florence ou Venise à la Renaissance. Toutefois, dans le roman, cela arrive après la chute d’une monarchie. Pour ma part, cela m’a rappelée la République romaine car la Royauté était honnie par les Romains comme cela semble l’être aussi dans le roman d’Ellen Kushner. Ainsi, l’ancien palais du Prince a été récupéré par les oligarques pour en faire leur actuelle salle du Conseil.
– De plus, du temps de la monarchie, les nobles vivaient au coeur de la ville, dans le quartier des Bords-d’Eaux. Or dans le récit, les riches familles se sont installées dans le quartier cossu de la Colline. Les Bords-d’Eaux sont alors devenus un quartier malfamé dans lequel les prostituées, les voleurs, les mendiants et les tripots ont investi les anciens hôtels particuliers des nobles. Cela m’a fait penser au quartier de la Subure à Rome, à proximité du Forum Romain. Au Ier siècle avant J.-C., Jules César lui-même y possédait une villa. Un siècle plus tard, la Subure est devenue un quartier malfamé du même acabit que les Bords-d’Eaux, les riches Romains ayant préféré s’installer sur les Collines de Rome comme l’Esquilin ou le Palatin.

Enfin, il est vrai que la morphologie urbaine de la cité avec ses rues étroites, tortueuses et sombres dûs aux encorbellements des façades peuvent faire penser à des villes médiévales. Toutefois, plusieurs éléments de décor, des lieux de sociabilité ou des us et coutumes sont plus représentatifs des XVI-XVIIème siècle. Et je dois dire que pendant ma lecture, mon imaginaire s’est plutôt envolé vers la période moderne lorsque je devais me figurer des personnages, des costumes ou des éléments architecturaux.
– Au début du roman, le bretteur et son amant assistent à un feu d’artifice. Or, ce procédé pyrotechnique a été importé en Europe à partir de la fin du XVI-XVIIème siècle.
– Les deux amants sont également allés voir une pièce de théâtre La tragédie du Bretteur. Pour ma part, la configuration de l’édifice ainsi que la pièce m’ont fait penser au fameux théâtre londonien du Globe dans lequel étaient jouées les pièces de Shakespeare.
– La présence de carrosses dans lesquels se déplacent les nobles ou la consommation de chocolat chaud font référence également à des habitudes de l’époque moderne.

Richard de Saint-Vière, un personnage singulier

Je souhaitais terminer ma chronique sur le personnage de Richard de Saint-Vière que j’ai beaucoup apprécié. Grâce aux nouvelles, on sait qu’il est issu d’une riche lignée de banquiers mais la relation illégitime entre sa mère Octavia et son père en a fait un bâtard rejeté par le clan. Ayant grandi à la campagne, sa mère a toutefois eu les moyens de lui payer les services d’un bretteur. Lorsqu’il arrive en ville, il débute sa carrière de duelliste avec succès. Invaincu, il devient l’un des meilleurs et il n’est pas rare que les riches familles aristocratiques de la Colline fasse appel à ses services. Le statut d’un bretteur est très codifié dans la société : il peut avoir un rôle honorifique lors d’un mariage en accompagnant le cortège de la mariée et en divertissant le public par un duel à l’épée, après la cérémonie. Ou au contraire, il peut être chargé d’une dette d’honneur c’est à dire tuer une personne désignée par un commanditaire aristocrate. Le bretteur est alors protégé par la loi et ne peut être reconnu coupable de meurtre. Richard de Saint-Vière est renommé pour être non seulement une fine lame mais pour sa fiabilité et son professionnalisme car son honneur lui impose de remplir sa part de contrat. Il est d’un tempérament calme voire réservé, vit simplement sans être attiré par l’appât du gain et est passionné par son art ainsi que son amant Alec à qui il cède tout!

Je rebondis d’ailleurs sur ce sujet car il est plutôt rare de trouver en Littérature de l’Imaginaire, un personnage principal homosexuel (dans la nouvelle Un jeune homme de mauvaise vie, il a une relation avec le jeune noble Crispin et dans le roman, À la pointe de l’épée, son compagnon est l’ancien étudiant Alec), voire bisexuel (dans la nouvelle Au temps où j’étais brigand, il est l’amant de sa complice Jess). Rien d’étonnant à cela car l’auteure Ellen Kushner se fait la porte-parole de la cause LGBT+ et lors de sa tournée française, ses rencontres en librairie étaient organisées en partenariat avec la Fédération LGBTI. Dans l’univers du roman, Richard de Saint-Vière ne subit pas de discriminations dûes à ses préférences sexuelles, il n’est pas moqué non plus par la société car sa relation avec Alec est considérée comme normale. D’ailleurs, si j’ai beaucoup aimé le bretteur, j’ai au contraire moins apprécié son amant. Probablement d’origine noble, il est un ancien étudiant de l’Université. Or, Alec se comporte de manière assez capricieuse, il passe son temps à parier dans les tripots (et à perdre de l’argent), à boire et à se quereller.  J’ai trouvé qu’ils formaient un duo plutôt étrange avec Richard.

En conclusion, ma lecture a été un véritable coup de coeur : j’ai immédiatement adhéré à l’univers riche et développé qui s’inspire selon moi de l’époque moderne surtout (même si certains passages feraient référence à la République romaine ou à la Renaissance italienne comme l’a dit Stéphanie Nicot). Le personnage de Richard de Saint-Vière est également bien écrit et attachant et j’ai beaucoup apprécié sa personnalité (au contraire de celle d’Alec). Avec une aussi jolie édition et augmentée qui plus est, n’hésitez pas à mettre ce livre très prochainement au pied du sapin de Noël!

Pour en savoir plus, je vous propose aussi une petite interview de l’auteure aux Utopiales 2019, à Nantes :

Autres avis : 

Albédo

Boudicca

Célindanae

Xapur

13 réflexions sur “À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner

  1. Je l’ai lu il y a longtemps maintenant mais j’en garde un excellent souvenir et je ne serais pas contre le relire 🙂 Surtout que je ne connais pas les nouvelles additionnelles présentent dans cette version intégrale.

    Aimé par 2 personnes

  2. Eh bien je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi bien. Va falloir que je le note alors.
    Quand tu évoques la période république romaine avec l’oligarchie au pouvoir, tu penses aux patriciens pas vrai? Mais n’y a t’il pas eu aussi durant cette longue période, des moments plus « socialistes » avec la création des tribuns de la plèbe, les Gracques?
    (je demande un avis plus éclairé que le mien hein)

    Aimé par 1 personne

    1. Oui, tout à fait ! Je parlais des patriciens. Pour être franche, je suis plus specialiste de la période impériale que republicaine. Je connais seulement le 1er siècle avant J.-C. avec les triumvirats. Il y avait bien des plébéiens comme Jules César. En revanche, je ne connais les Gracques que de nom et je ne les ai jamais étudiés.

      J’aime

      1. Si ça t’intéresse, le livre sur l’ensemble de l’Histoire romaine de Lucien Jerphagnon – Histoire de la Rome antique : Les armes et les mots – est de mon avis extraordinaire

        Aimé par 1 personne

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