Passing strange d’Ellen Klages

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Quatrième de couverture : 

San Francisco, 1940. Six femmes, avocate, artiste ou scientifique, choisissent d’assumer librement leurs vies et leur homosexualité dans une société dominée par les hommes. Elles essayent de faire plier la ville des brumes par la force de leurs désirs… ou par celle de l’ori-kami. Mais en science comme en magie, il y a toujours un prix à payer quand la réalité reprend ses droits.

Editeur : ActuSF

Nombre de pages : 256

Prix : 18,90€

Date de publication : 8 Novembre 2019

Mon Avis :

Ce roman m’a été proposé en Service Presse par les éditions ActuSF et je remercie à ce titre Gaelle et Jérôme pour son envoi. Je l’avais sélectionné pour deux raisons : la première est son contexte historique des années 40 et la seconde pour la présence d’héroïnes. Et je peux vous dire que je n’ai pas du tout regretté mon choix car j’ai beaucoup apprécié ce livre.

Cette édition de Passing strange est composée d’un court roman au titre éponyme, la nouvelle Caligo Lane dans le même univers et une interview d’Ellen Klages réalisée par Jean-Laurent Del Socorro et Eric Holstein.

De nos jours : Helen Young a eu une vie bien remplie mais avant de partir pour le long voyage dont on ne revient pas, elle souhaite préparer son départ et tout mettre en ordre. Un taxi l’emmène alors dans le quartier de Chinatown de San Francisco où elle possède un immeuble. Dans la cave désaffectée, elle trouve une boite hermétiquement fermée qu’elle manie avec précaution. Elle sait que son contenu a de la valeur et décide de se rendre dans la librairie de Marty Black près d’Union Square, pour le négocier. Si le gérant peu scrupuleux avait dans l’idée d’arnaquer cette petite mamie, il est bien mal tombé! Car au fond de cette boite se trouve un trésor qu’il convoite depuis tellement longtemps qu’il ne peut pas passer à côté de cette aubaine…
Dans les années 40 : six femmes, Helen, Franny, Emily, Barbara, Loretta et Babs se retrouvent régulièrement chez l’une d’entre elles. Chacune a fait le choix de mener sa vie librement que ce soit en exerçant un métier pour être financièrement indépendantes ou en assumant son homosexualité. Mais, cette liberté est très mal vue et comprise dans une société encore patriarcale.

Plongée dans la ville de San Francisco…

Lorsqu’Ellen Klages a déménagé à San Francisco en 1976, elle a eu un véritable coup de foudre pour cette ville au point d’en écrire une histoire l’année suivante : ce sont les prémices de Passing strange. Puis, elle laisse l’idée de côté dans un tiroir et la retrouve quarante ans plus tard pour l’écrire. On sent que l’auteure connaît bien sa ville : elle parle rarement du monument le plus connu et le plus emblématique, le pont suspendu du Golden Gate pourtant achevé trois ans avant le récit de 1940 mais s’astreint à désigner le milieu urbain par ses noms de rue ou ses quartiers. Pour ma part, je ne connais San Francisco qu’à travers les films ou les séries mais j’ai apprécié aller chercher sur Google pour savoir à quoi ressemblaient Chinatown ou Union Square. Je dirais même plus la ville n’apparaît pas uniquement comme un décor dans le récit mais est aussi un personnage à part entière. En effet, elle joue un rôle dans l’intrigue notamment lorsque la cartographe Franny utilise son don d’ori-kami dont je parlerai plus bas.

Même avec le nouveau pont du Golden Gate et les affreuses silhouettes des navires de guerre alignés dans la baie, San Francisco reste une ville à qui la magie sied bien. Loin d’être géométrique, c’est une cité pleine d’allées cachées et de ruelles biscornues. Construite sur des collines et entourée d’eau, la météo elle-même altère sa géographie. Le brouillard y efface ses points de repère, l’enveloppe, la referme sur elle-même en faisant disparaître le reste du monde. (P. 227)

…des années 40…

Hormis la première partie et la conclusion qui se déroulent de nos jours, l’essentiel de l’intrigue prend place en 1940. Et on sent qu’Ellen Klages s’est documentée pour reconstituer le contexte historique tout en dénonçant les travers de la société américaine :
un contexte de Guerre : en Europe, la Seconde Guerre Mondiale est déclarée depuis un an. Bien que les Etats-Unis ne rentreront officiellement dans le conflit que l’année d’après, cet état apparaît en filigrane dans les deux textes : par exemple, Franny possède un immeuble dans China Town et souhaite le réhabiliter pour accueillir des réfugiés européens ou l’existence de camps dans lesquels des familles nippo-américaines sont détenues après les évènements de Pearl Harbor.
une société patriarcale : les femmes ne possédaient pas les mêmes droits que les hommes à cette époque et il était mieux vu pour elles de se marier et de rester à la maison pour s’occuper des enfants et du foyer. Ellen Klages dénonce ces conditions dans son roman notamment l’abandon de son mari et la violence conjugale dont l’illustratrice Haskel est la victime. De plus, le travail féminin était encore mal vu et c’est ainsi qu’Helen Young malgré ses trois ans de droit et le fait qu’elle soit avocate, n’arrive pas à joindre les deux bouts et doit compléter ses revenus en tant que danseuse au Club Forbidden City.
une société homophobe : l’homosexualité était une pratique sexuelle encore illégale en 1940 aux Etats-Unis (Cela sera abrogé dans les années 70). Ainsi, Helen Young elle-même homosexuelle s’est mariée par convenance avec son mari lui aussi gay. Emily a été renvoyée de son travail de surveillante d’internat pour avoir eu une relation homosexuelle avec sa collègue. De plus, une loi interdisait aux femmes de porter des vêtements uniquement masculins :

La loi interdit aux femmes de s’habiller en homme. Si tu te fais contrôler par les poulets et que tu as eu au moins trois pièces d’habillement féminin, t’es bonne. (P. 84)

Toutefois, les autorités fermaient les yeux dans certains quartiers notamment celui de Broadway dans lequel le Mona’s Club 440 était réputé pour accueillir la communauté lesbienne.

Le club représentait tout un tas de choses pour tout un tas de personnes. Un piège à touristes. Un bar de quartier. Un hâve où des femmes qui aimaient les femmes pouvaient paraître en public sans avoir à craindre de subir la honte des regards en coin que leur lançaient les dames « comme il faut ». Mona savait prendre soin de ses filles – butch, fem, Flos, Freddies, aspirantes, voyeuses ou camionneuses. Chez Mona, chacune pouvait être la femme qu’elle rêvait d’être, ne fut-ce que pour une nuit. Personne ne vous y posait la moindre question ou, en tout cas, n’attendait que vous y répondiez. (P. 68)

… teintée d’une petite touche de fantastique.

L’aspect fantastique apparaît en filigrane dans le texte mais il est toujours lié à l’Art. La magie se décline alors essentiellement sous deux formes :
L’ori-kami qui s’apparente à l’origami, c’est à dire l’art de plier une feuille pour créer un objet sous forme d’animaux, de fleurs, etc…. C’est Franny qui en est spécialiste : la jeune femme cartographe grâce à des calculs compliqués permet de créer un portail spatial pour qu’une personne puisse s’échapper d’un endroit sans être vue : dans Passing Strange, c’est Emily qui l’utilise pour rejoindre Haskel à son atelier dans le quartier de Montgomery street et dans Caligo Lane, Franny essaye de retrouver sa soeur internée dans un camp de concentration en Europe.
– Le Tunderpör est une pierre de couleur bleue montée en pendentif et transmis à Haskel par sa grand-mère. Je ne vais pas en dire plus car je dévoilerai un pan trop important de l’intrigue mais sachez que mélangé à des pigments de couleur, cette pierre a des propriétés pour le moins étonnantes!

En conclusion, j’ai passé un moment très agréable en compagnie d’Helen, Franny, Emily, Barbara, Loretta et Babs : leur récit touchant et émouvant couplé à une découverte de la ville de San Francisco au fur et à mesure de ma lecture ainsi qu’à une écriture fluide m’auront fait beaucoup apprécier ma lecture. Si l’aspect fantastique prend finalement peu de place dans l’intrigue, Ellen Klages en profite également pour faire passer des messages forts allant du féminisme au soutien des droits LGBT. Bref, une lecture que je recommande.

Autres avis : 

Le Bibliocosme

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Ombrebones

12 commentaires

  1. Merci pour le lien 🙂 J’avais aussi adoré ce roman grâce auquel j’ai ressenti beaucoup d’émotions. Je n’ai finalement pas regretté que le fantastique soit présent à si petites doses, je trouve que l’autrice a trouvé un bel équilibre.

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