#PLIB2020 : Je suis Fille de rage de Jean-Laurent Del Socorro

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Quatrième de couverture : 

1861 : la guerre de Sécession commence. A la Maison-Blanche, un huis clos oppose Abraham Lincoln la Mort elle-même. Le président doit mettre un terme au conflit au plus vite, mais aussi à l’esclavage, car Faucheuse tient le compte de chaque mort qui tombe. Militaires, affranchis, forceurs de blocus, politiciens, comédiens, poètes… Traversez cette épopée pour la liberté aux côtés de ceux qui la vivent, comme autant de portraits de cette Amérique déchirée par la guerre civile.

Editeur : ActuSF

Nombre de pages : 560

Prix : 23,90€

Date de publication : 11 Octobre 2019

#ISBN9782366294774

Mon Avis : 

Après bien des péripéties avec la Poste, le nouveau roman de Jean-Laurent Del Soccorro a rejoint enfin ma PAL et je remercie Jérôme et Gaëlle des éditions ActuSF pour ce Service Presse. J’avais rencontré l’auteur au mois d’octobre à l’occasion d’une soirée de l’Imaginaire dans l’une de mes librairies grenobloises préférées et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’interview m’avait bien donnée envie de lire Je suis Fille de rage. Si j’avais beaucoup apprécié Un Royaume de vent et de colère mais beaucoup moins, Boudicca, j’ai eu un petit coup de coeur pour ce nouvel opus!

L’ouvrage est divisé en deux :

  • Je suis fille de rage est un roman choral qui fait intervenir sur une à deux pages plus d’une dizaine de personnages allant du simple soldat (homme ou femme) aux officiers supérieurs en passant par le président des Etats-Unis. Il est subdivisé en cinq parties qui suivent la chronologie du conflit de 1861 à 1865.En avril 1861, les États-Unis sont clairement divisés entre des États du Sud agricoles, conservateurs et esclavagistes (leur économie est essentiellement basée sur la production de tabac et de coton qui exploitent des esclaves noirs) et les États du Nord plus industriels, libéraux et anti-esclavagistes. L’élection, six mois plus tôt d’Abraham Lincoln en tant que Président des Etats-Unis met le feu aux poudres car ce dernier souhaite faire voter l’abolition de l’esclavage. Onze États du Sud qui se surnomment « les Confédérés » entrent alors en sécession contre « l’Union » des États du Nord. Si Abraham Lincoln pensait que l’issue de ce conflit serait vite réglée, en réalité, il va se muer en véritable guerre civile de quatre ans (1861-1865) provoquant la mort de plus de 600000 personnes! Dans son bureau, le Président assiste impuissant au comptage du nombre de victimes par la Mort…66E0C5FE-09A4-460B-9D63-237D12313C14

Carte des Etats-Unis dessinée par Cindy Canevet et présente dans le roman Je suis Fille de rage

  • Enfin, une petite nouvelle d’une dizaine de pages intitulée Le Diable dans la boite achève l’ensemble et s’inspire d’une histoire vraie. Elle narre en effet la fuite d’un esclave des Etats du Sud qui tente de rallier les Etats du Nord grâce au réseau Underground railroad. Cela vous rappelle quelque chose? En effet, j’avais déjà évoqué cette thématique dans l’excellent roman de Ben H. Winters, Underground airlines.

Dans cette chronique, je ne reviendrai pas sur les qualités esthétiques de la collection des Trois souhaits chez ActuSF car je l’avais longuement développé dans la première partie d’A la pointe de l’épée d’Ellen Kushner.

Un roman historique…

Très honnêtement, sans la petite touche de fantastique sur laquelle je reviendrai plus bas, Je suis fille de rage pourrait être classé facilement dans les romans historiques. En effet, Jean-Laurent Del Socorro s’est beaucoup documenté pour écrire cet opus :

  • La bibliographie présente à la fin de l’ouvrage en témoigne : ainsi, pour écrire son récit, l’auteur s’est basé sur des sources contemporaines comme les mémoires et lettres de plusieurs personnages historiques (Ulysse Grant ou Robert Lee), des créations littéraires (les poèmes de Walt Whitman) ou des sources journalistiques (des coupures de presse contemporaines de l’Union ou des Etats Confédérés). Cela ne m’étonnerait d’ailleurs pas que plusieurs de ces sources soient inédites en France car Jean-Laurent Del Socorro les a lui-même traduites de l’anglais. Dans cette même bibliographie, l’auteur propose également un certain nombre d’ouvrages scientifique et de vulgarisation en français comme en anglais pour que le lecteur puisse approfondir le sujet s’il le souhaite.
  • Certains détails présents dans le texte montre aussi l’effort de documentation de l’auteur. Je citerais ainsi un passage assez impressionnant et exhaustif sur la manipulation d’un fusil et cela permet au lecteur de vraiment s’immerger dans l’action :

Je pose le fusil devant moi, crosse contre le sol. Je découvre que, en dépit de la fatigue et du stress, les heures d’entraînement rendent tous mes gestes automatiques.
– Prenez la gargousse.
Je sors de ma giberne le sachet qui renferme la balle et la poudre. En faisant cela, je me rends compte que mes doigts tremblent – et davantage d’excitation que de peur.
– Déchirez la gargousse.
Je déchire le papier avec mes dents. Une odeur âcre m’envahit les narines.
– Chargez la gargousse.
Je vide le contenu dans le canon. La balle tombe en dernier. Je m’assure qu’elle est bien dans le bon sens avant de l’enfoncer avec mon pouce.
– Sortez le refouloir!
J’extrais la longue barre métallique de son logement sous mon arme.
– Tassez!
Je positionne l’extrémité de la barre dans l’embouchure avant d’enfoncer d’un coup sec le projectile jusqu’au fond de la chambre.
– Rangez le refouloir!
Je dois m’y prendre à deux fois pour retrouver la rainure où glisser la tige de fer.
– Amorcez!
Je fais passer le fusil sous mon bras droit, place le chien au demi-armé. Puis, je sors de mon ceinturon une amorce que je place sur la cheminée.
– Arme à l’épaule. (P. 231-232)

De plus, la période de la Guerre de Sécession sur les quatre ans est certes courte mais très complexe. J’ai ainsi beaucoup apprécié que Jean-Laurent Del Socorro accompagne son lecteur en début d’ouvrage. En effet, dans son petit guide, il lui donne quelques clefs pour l’aider à s’y retrouver :

  • Entre les personnages des deux camps grâce à la présence de un petit drapeau de l’Union ou des Etats Confédérés.
  • Pour situer les lieux géographiques des évènements, une petite carte et l’alignement du titre en fonction s’il se trouve à gauche (pour le front de l’ouest) ou à droite (pour le front de l’est) de la page.
  • Enfin, un dramatis personae bienvenu complète l’ensemble et permet d’identifier du moins au début les personnages (surtout que dans les titres, ceux-ci ne sont pas désignés directement par leur nom mais par une périphrase comme « Le Général qui ne compte pas ses morts » pour Grant).

avec un petite touche de fantastique…

Le seul élément fantastique présent dans le récit est le personnage de la Mort. Vêtue d’un costume de militaire blanc (si dans la tradition occidentale, la Faucheuse se pare de noir, ce n’est pas le cas dans d’autres cultures japonaise ou chinoise dans lesquelles le blanc est la couleur de la mort), elle apparaît à plusieurs personnages :

  • Des soldats à la veille de leur mort comme Sue, soldate confédérée à qui la Mort ramasse la baïonnette à douille qu’elle a fait tomber par terre.
  • Des officiers comme Sherman qui envisage à un moment de se suicider.
  • Au Président Abraham Lincoln de la signature d’un décret autorisant l’Union à lever des troupes en 1861 à son assassinat en 1865 par l’acteur John Wilkes Booth. La Mort lui apparaît dans son bureau de 25m2 et trace un trait blanc à la craie sur les murs pour chaque victime de la Guerre de Sécession. Avec 600000 morts, vous vous doutez bien dans quel état doit finir le bureau de Lincoln, à la fin du roman! Jean-Laurent à la rencontre du mois d’octobre avait dit s’être inspiré du théâtre pour les scènes entre Lincoln et la Mort.

Il lève les yeux du document qu’il est en train de rédiger. Il cherche à percer les ombres où je me dissimule.
– Tu n’existes pas. Tu es dans ma tête.
– J’apparais à ceux dont les actes invoquent ma présence. (p. 33)

(…)

Je vois dans son regard qu’il n’arrive pas à déterminer l’âge et le sexe cachés derrière mes traits androgynes. Il m’imaginait – comme tant d’autres – portant une robe noire et non cette tenue immaculée d’officier où le blanc a remplacé le bleu de la nation. Une redingote aux douze boutons de cuivre, un chapeau aux larges bords brodé d’un aigle comme insigne, une ceinture où est passé un sabre, un pantalon rentré dans des bottes montantes et cinq galons dorés cousus sur l’épaule.
– Je suis là pour suivre les ordres du président Lincoln.
– 
Aucun de mes généraux n’a autant d’étoiles.
– Car je suis le premier d’entre eux. (p. 34)

qui dénonce les affres de la Guerre

Jean-Laurent Del Socorro profite aussi de son roman pour dénoncer les absurdités de la Guerre de Sécession. Même Abraham Lincoln qui bénéficie aujourd’hui d’une image favorable en prend pour son grade.

  •  Le Président a sous-estimé la durée du conflit entre les Etats du Sud et ceux du Nord. S’il pensait que la Sécession ne serait l’affaire que de quelques mois, en réalité, elle va durer quatre ans.
  • Certains officiers sont complètement incompétents pour le poste qu’ils occupent à l’instar du Général McClellan, du côté de l’Union.

Le Général McClellan n’a rien fait des plans confédérés que je lui ai remis. Nous sommes deux fois plus nombreux que les soldats de Lee. Malgré cela, nous n’avons rien fait d’autre que de prendre les meilleures positions autour de Sharpsburg. Je commence à croire cette blague qui circule dans les rangs des deux armées : les Sudistes n’ont qu’un seul avantage, mais de taille : ils ont le général McClellan face à eux. (P. 248)

  • La presse est instrumentalisée : même en cas de défaite que ce soit dans l’Union ou dans les Etats Confédérés, elle parle de succès militaire pour ne démoraliser ni les troupes, ni la population,

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  • L’hypocrisie règne dans l’Union car si en théorie, les soldats se battent pour l’abolition de l’esclavage, dans les faits, le racisme existe au sein des troupes. Je citerais ainsi deux exemples :
    – les troupes de l’Union n’hésite pas à récupérer des esclaves capturés à l’ennemi pour des travaux de force comme le Général Grant à Memphis en 1862.
    – les noirs affranchis qui se sont enrôlés dans l’armée sont non seulement exposés en première ligne face à l’ennemi mais combattent dans des unités séparées, les Colored Troops.

En conclusion, j’ai eu un petit coup de coeur pour Je suis fille de rage. Bien que ce roman fasse plus de cinq cent pages, je ne l’ai pas vu défilé tant il est prenant. S’il est vrai que la partie fantastique est ténue (elle ne tient qu’à la présence de la Mort en filigrane dans le texte), en revanche, j’ai beaucoup apprécié le côté « roman historique ». Bien documenté (je ne doute pas d’ailleurs que cela a dû représenter un travail colossal pour l’auteur), je me suis complètement retrouvée immergée dans le récit alors même que mes connaissances sur la Guerre de Sécession n’étaient pas très étendues. J’ai hâte maintenant de découvrir le nouvel opus de Jean-Laurent Del Socorro, La Guerre des trois rois illustré par Marc Simonetti. Il devrait sortir en mai prochain.

16 commentaires

  1. Je suis vraiment tentée par cette histoire. La guerre de Secession est une période que je connais peux, mais que je trouve très intéressante, en particulier le fait qu’il y ait aux yeux de l’histoire des « gentils » et des « méchants » alors que les choses sont un peu plus compliquées.
    Tu m’a vraiment envie encore plus envie de le découvrir 🙂

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      • J’espère qu’il me plaira autant qu’à toi 😊 J’avoue ne pas saisir ce qu’il fait dans le plib si son côté imaginaire n’est pas au cœur de son intrigue. A voir lors de sa lecture!

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      • Je sais 😉 C’est juste que personnellement, j’attends pour ce prix d’y trouver des romans où la SFFF a une place majeure. J’attends donc ce roman au tournant sur ce point car même si je l’adore, ce que j’espère sincèrement, si son côté fantastique n’est pas assez présent je ne pourrais pas voter pour lui je pense. Bref, on verra bien 😊

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