Continent perdu de Norman Spinrad #S4F3

Quatrième de couverture : 

En 1970, Norman Spinrad imagine un voyage dans les abîmes de la civilisation américaine défunte.

Editeur : Le passager clandestin

Nombre de pages : 144

Prix : 8,00€

Date de publication : 21 Mai 2021

Mon Avis :

J’avais découvert la novella Continent perdu suite à la chronique élogieuse de BazaR sur Babélio. Mais, lorsque j’avais voulu l’acheter, elle n’était plus disponible aux éditions Le passager clandestin. Heureusement, elle a été rééditée en mai ce qui m’a permis de la prendre lors de ma dernière visite dans ma librairie préférée. Et j’en suis très contente car j’ai adoré ce texte faisant l’un des meilleurs lus dans cette collection. 

Le récit se déroule dans deux siècles dans ce qui reste des Etats-Unis et il suit deux personnages :

  • Le professeur Balewa enseigne l’Histoire à l’Université en Afrique et est spécialisé dans la période de l’Age de l’espace aux Etats-Unis. Il s’agit d’une sorte d’âge d’or du développement technologique dont le point d’orgue est 1969 lorsque le premier homme américain a posé le pied sur la lune. C’est la première fois qu’il visite les Etats-Unis.
  • Le guide et pilote d’hélicoptère, Mike Ryan, est l’un des meilleurs de sa profession mais aussi l’un des plus chers. Or, il faut dire que sa prestation vaut le coup puisque les riches touristes africains qu’il emmène à bord de son appareil, auront l’opportunité de visiter la côte est dévasté des Etats-Unis. Au programme, une ancienne autoroute à six voies dans le Bas Jersey, New York et son célèbre quartier de Manhattan emprisonné sous le Dôme Fuller et le clou du spectacle, rencontrer d’authentiques métroglodytes, les descendants des New Yorkais qui se sont réfugiés dans le métro après la Grande Panique. Or, ce tour opérateur ne laissera personne indifférent…

Une uchronie aux préoccupations environnementales…

Continent perdu est une novella qui s’inscrit dans le registre de l’uchronie. Dans la seconde partie du XXème siècle, les Etats-Unis vivent leur âge d’or (appelé l’Age de l’Espace deux cent ans après) : non seulement, ils sont la première puissance du Monde mais leur développement technologique est tel qu’en 1969, le premier homme à marcher sur la Lune est américain.
Or, le point de rupture se situe quelques décennies après lorsque la civilisation états-unienne s’effondre suite à un évènement aussi soudain que dramatique appelé Grande Panique. Si le lecteur ne saura pas exactement ce qu’il s’est passé, quelques indices sont toutefois donnés dans le texte : la cause est probablement le développement technologique incontrôlé qui a abouti à une explosion dans le centre de New York marqué par un cratère gigantesque et l’atmosphère de la côte Est devenu depuis irrespirable. Tout l’ancien poumon économique est un no-mans-land désormais recouvert d’un smog de pollution épais et mortel. Les humains ne peuvent plus y vivre tandis que sur le reste du territoire américain, ils survivent difficilement grâce à des filtres et des lunettes atmosphériques. De plus, leur espérance de vie s’est complètement réduite puisque la plupart meurt d’un cancer des poumons peu avant cinquante ans. 

… qui dénonce le racisme…

Deux siècles plus tard, les Etats-Unis ne se sont pas relevés de la Grande Panique : les connaissances se sont perdues ce qui fait que les descendants des survivants ne sont plus capables de reproduire le développement technologique de leurs aïeux, ni d’innover. Leur civilisation a alors périclité au profit de nouveaux pays comme ceux de l’Afrique devenus des puissances mondiales. Les Etats-Unis ne doivent leur survie qu’au tourisme qui représente 30% de ses richesses. Cela n’est pas sans conséquence culturelle puisque Continent perdu dénonce le racisme des personnages : 

  • Mike Ryan déteste les touristes africains qu’il transporte à bord de son hélicoptère. Mais, il n’a pas d’autres choix que d’accepter leur argent non seulement pour survivre mais aussi pour mener à bien son projet de s’installer en Amazonie où l’air est plus pur. Il est nostalgique d’un passé qu’il n’a pas connu et a du ressentiment vis à vis des Noirs car il les considère comme des nouveaux riches. 
  • Quant aux touristes africains, ils sont de deux catégories : 
    – Ceux qui se sentent supérieurs vis à vis des Américains et considèrent que leur pays appartiennent maintenant au Tiers-Monde. Ils viennent aux Etats-Unis pour se divertir et ressentir un certain frisson (comme certains voyagent à Tchernobyl de nos jours). La rencontre des métroglodytes à la fin est une dénonciation des safaris humains qui avaient cours en Afrique au XIXème siècle et XXème siècle par les voyageurs occidentaux. 
    – Ceux qui haïssent littéralement les Blancs américains et ressentent vis à vis d’eux un fort racisme. Il s’agit des Amérafricains dont Monsieur Lumumba fait partie. Ses aïeux ont été chassés des Etats-Unis par les Blancs juste après la Grande Panique et ils se sont réfugiés en Afrique qui s’est développée par la suite. 

… et est très immersive. 

A l’instar des touristes africains, le lecteur découvre avec eux un pays complètement dévasté et différent de celui que nous connaissons actuellement. Et je dois dire que le style de Norman Spinrad est assez efficace : les descriptions des lieux ravagés comme l’autoroute effondrée à six voies sur laquelle demeurent les carcasses rouillées des voitures ou le dôme Fuller à Manhattan avec les buildings eventrés sont très imagées. Cela m’a permis de bien visualiser les décors dont certaines scènes m’ont rappelé les films comme La Route de John Hillcoat (2009) ou Blade Runner de Denis Villeneuve (2017). Aussi cauchemardesques soient-elles, ces scènes nous permettent aussi de réfléchir à la mortalité de nos civilisations et à la fragilité de nos connaissances. D’ailleurs, je n’ai pas pu m’empêcher de penser au Panthéon d’Agrippa à Rome datant du Ier siècle avant J.-C. durant toute ma lecture. En effet, la coupole de cet extraordinaire bâtiment est restée inégalée pendant des siècles. Les Hommes avaient tout simplement perdu sa méthode de construction et ne l’ont retrouvé qu’à la Renaissance!

En conclusion, avec Continent perdu, Normal Spinrad signe un texte très fort. Ses descriptions imagées en font une expérience de lecture immersive et son récit permet de nombreux axes de réflexion :
– écologique tout d’abord puisqu’il est nécessaire que le développement technologique ne se fasse pas au détriment de notre environnement.
– sociale et éthique avec la dénonciation du racisme des Blancs vis à vis des Noirs et vice versa mais aussi un système d’inversion de dominants/dominés (ce ne sont plus les Occidentaux qui pratiquent les safaris humains en Afrique mais le contraire). 
– et culturel car notre civilisation est mortelle et finalement bien fragile même si nous n’en avons pas toujours conscience. 

Autres avis : 

Les chroniques du Chroniqueur

Cette novella participe au Challenge #S4F3

13 réflexions sur “Continent perdu de Norman Spinrad #S4F3

  1. « une explosion dans le centre de New York marqué par un cratère gigantesque » : moi je dis, c’est un coup d’Akira 😀

    Plus sérieusement, sur la mortalité de nos civilisations, je conseille l’excellentissime essai « Homo Disparitus » d’Alan Weisman. J’ai été effaré, à sa lecture, de voir avec quelle facilité la planète Terre pourrait se débarrasser de nos plus imposantes constructions artificielles, et jusqu’à la moindre trace de notre passage (ou presque), en un temps incroyablement court.

    Aimé par 1 personne

  2. Merci moult pour le clin d’œil Aelinel 🙂
    Je suis content aussi que la nouvelle t’ait plu. C’était une Lecture Commune qui a conquis tout le monde à l’époque.
    Merci pour les infos sur le temple d’Agrippa.

    Aimé par 1 personne

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