Et à la fin, ils meurent… de Lou Lubie

Quatrième de couverture :

De l’Antiquité à Perrault et Grimm, Lou Lubie présente les versions authentiques et croustillantes des contes, où la fin heureuse s’arrose à la vodka et le prince n’est pas si charmant. A travers ces récits savoureux, l’autrice aborde avec humour une réflexion sur l’éthique des contes : violence, sexisme, racisme… une exploration culturelle et littéraire passionnante !

Editeur : Delcourt

Nombre de pages : 248

Prix : 24,95€

Date de publication : 3 Novembre 2021

Mon Avis : 

J’avais vu passer sur les Réseaux sociaux une interview de Lou Lubie présentant sa nouvelle parution Et à la fin, ils meurent… Sa démarche de faire découvrir les « versions originales » des contes m’avait interpellée car il y a quelques années, j’avais découvert l’excellent recueil Si les fées m’étaient contées chez Omnibus. Ce dernier recense 140 contes de Charles Perrault à Jean Cocteau. Et à l’époque, j’avais été frappée car il y avait des différences très notables entre ceux « d’origine » et ceux adaptés en dessins animés par les studios de Walt Disney. Ma lecture de cette bande dessinée se situe donc dans la droite lignée de cette réflexion et j’ai pris beaucoup de plaisir à la lire. 

Aujourd’hui, les contes de fées n’ont pas toujours bonne réputation : au mieux, ils seraient mièvres et naïfs (en cause, les adaptations en dessins animés issues des studios Disney), au pire, ils sont accusés d’être violent, raciste et sexiste. Et pour cette raison, ils seraient peu adaptés aux enfants. Dans sa bande dessinée, Lou Lubie retrace l’origine de certains contes et montre comment ils se sont diffusés jusqu’à notre époque et elle aborde ces débats autour de réflexions intéressantes. 

Un bel objet-livre parodique…

Soyons quelque peu frivole et intéressons-nous à l’objet-livre qui de prime abord reprend les codes des reliures vintage. Sa couverture est en carton épais et est incrustée de dorures. L’objet livre comprend également une tranchefile (à priori simplement collée et non cousue), un signet en tissu, sa gouttière est entièrement dorée et il possède également une garde de couleur reprenant en dessins les éléments reconnaissables d’un conte comme le rouet, la grenouille ou la tour.
Mais si l’on regarde plus attentivement le titre de la bande dessinée (par opposition à la phrase bien connue « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ») et le sous-titre dans les oriflammes ainsi que le dessin du médaillon central sur la première de couverture (une princesse aux bras coupés, un prince énucléé et un petit Chaperon avec un sourire de psychopathe), on se rend compte qu’ils parodient l’idée même des contes

Enfin, cette bande dessinée est également interactive car si vous téléchargez l’application de Delcourt Soleil + et que vous scannez les pages marquées d’une petite grenouille, vous aurez la possibilité d’avoir du contenu supplémentaire par rapport au texte de la bande dessinée (comme des éléments des biographies d’auteur(ice)s ou des résumés de contes). J’ai trouvé cela assez ludique. 

… bourré d’humour…

Pour en revenir à l’aspect parodique, Lou Lubie fait passer son humour à travers ses dessins qui possèdent un petit côté théâtral à l’instar de ceux des mangas. Les personnages surréagissent alors de manière exagérée pour créer un effet comique. Le texte qui accompagne ces dessins est également complémentaire : il y a souvent un décalage anachronique entre le dessin en lui-même qui est censé s’inscrire dans une époque donnée et des expressions très contemporaines. Enfin, les personnages apparaissent également de manière très politiquement incorrecte ce qui crée un décalage assez drôle avec la représentation qu’en ont les lecteur(ice)s véhiculée par Disney d’ailleurs (la beauté, la gentillesse, la bonne éducation, la générosité, etc…). Attention toutefois même si ce livre est humoristique et aborde les contes, il ne convient pas à des enfants mais il peut se lire dès l’adolescence. 

Et à la fin, ils meurent de Lou Lubie (p. 18)

… qui offre des axes de réflexion très intéressants.

Son contenu est tout d’abord très instructif car j’ai appris par exemple que le conte de Cendrillon venait de Chine à l’origine (d’où l’idée que l’héroïne avait des pieds très petits en référence au bandage de ces membres pour les petites filles chinoises dès l’âge de cinq ans) ou qu’il existe différentes versions de Barbe Bleue : si en France, il s’agit d’un gentilhomme avec une barbe bleue, en Russie, il s’agit d’un ours et en Inde, d’un tigre. 

Mais surtout Lou Lubie revient sur les récents débats concernant les contes de fées. Ils sont ainsi accusés d’être : 

  • Sexiste : Les héroïnes de conte de fées sont par exemple définies par leur physique tandis que leurs homologues masculins par des qualificatifs moraux. 
Et à la fin, ils meurent… de Lou Lubie (p. 151)
  • Violent : certains contes décrivent des scènes de cannibalisme, de mutilation (dans Cendrillon, ses sœurs se coupent les orteils ou le talon pour pouvoir rentrer dans la chaussure apportée par le Prince) ou de viol (dans certaines versions de La Belle au Bois dormant, le Prince abuse d’Aurore pendant son sommeil). 
  • Raciste : certains contes s’avèrent antisémites comme Le Juif dans les épines et raciste comme Les trois cédrats dans laquelle la méchante change d’origine en fonction du pays mais est soit noire, tzigane ou bohémienne. 

Elle explique surtout que les contes ont toujours évolué : s’ils se sont transmis oralement avant d’être quelque peu « figés » sur le papier par certains écrivains comme Giambattista Basile (1575 – 1632), Charles Perrault (1628 – 1703) ou les Frères Grimm Jacob et Wilhelm (1785 et 1786 – 1863 et 1859). Ils ont ensuite connu une seconde jeunesse grâce aux adaptations de Walt Disney.
Les contes sont surtout représentatifs de leur époque (Blanche-neige fait le ménage dans le dessin animé de 1937 et est sauvée par le Prince) et sont amenés à évoluer en fonction des avancées de la société (Dans Blanche-Neige et le Chasseur sorti en 2012, l’héroïne est badass et mène elle-même le combat contre la Méchante Reine). Elle s’appuye enfin sur Bruno Bettelheim et sa Psychanalyse des contes de fées* pour dire que les enfants ont parfaitement conscience que les contes ne sont pas la réalité mais leur permettent de surmonter « leurs conflits intérieurs affectifs » (comme la rivalité fraternelle, l’angoisse de la séparation, les conflits avec les parents, etc…). 

En conclusion, j’ai beaucoup apprécié ma lecture de Et à la fin, ils meurent… de Lou Lubie. L’ouvrage est un très bel-objet de bonne qualité qui imite les anciennes reliures tout en parodiant le style du conte. Le ton est donc donné dès la première de couverture et la bande dessinée sous couvert de l’humour est très instructif sur la définition du conte, sa transmission et son évolution tout en permettant au lecteur de prendre du recul par rapport aux débats actuels qui accusent ce genre littéraire d’être violent, sexiste et raciste. Bref, une belle découverte. 

Et à la fin, ils meurent de Lou Lubie (p. 62)

* Pour ma part, je vous conseille également la lecture des Contes de Perrault sur le divan de Pierre Sultan qui est plus récent. 

12 réflexions sur “Et à la fin, ils meurent… de Lou Lubie

  1. J’ai déjà lu quelques contes de HC Handersen en version originale. Je me souviens de ma surprise devant le sort de la pauvre petite sirène et de la fille aux allumettes. Depuis, je moins fan des contes de Disney.Cet ouvrage me paraît bien plus intéressant et plus moderne. Je dois absolument me le procurer.

    Aimé par 1 personne

  2. La beauté de l’objet-livre m’avait interpellée et j’attends avec impatience de pouvoir l’emprunter.
    J’aime beaucoup ce mélange entre humour, remise en contexte des contes et informations. Je suis d’ailleurs super étonnée que Cendrillon soit d’origine chinoise. Bref, le livre a l’air passionnant !

    Aimé par 1 personne

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