La tapisserie de Bayeux de Pierre Bouet et de François Neveux

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Quatrième de couverture : 

La Tapisserie de Bayeux raconte l’histoire de la conquête de l’Angleterre par les Normands, en 1066. C’est en réalité une broderie qui a été réalisée en Angleterre (dans le Kent), probablement à l’initiative d’Odon de Conteville, évêque de Bayeux et demi-frère de Guillaume le Conquérant. Elle constitue un document irremplaçable pour notre connaissance de la civilisation médiévale du XIe siècle : armement, art de combattre, architecture religieuse, civile et militaire, tenue vestimentaire et vie quotidienne.
La Tapisserie est aussi un chef-d’oeuvre unique de l’art médiéval. Les dessinateurs et les brodeurs ont su donner vie et mouvement tant aux personnages qu’aux animaux (et surtout aux chevaux). Ils ont représenté de façon très réaliste les navires de type viking, qui sont alors couramment utilisés, aussi bien par les Anglais que par les Normands. Malgré toutes les recherches entreprises depuis deux siècles, la Tapisserie n’a pas encore livré tous ses mystères.

Editeur : Ouest France

Nombre de pages : 48

Prix : 6,50€

Date de publication : 12 Mai 2015

Mon Avis :

Le 8 août dernier, j’ai profité de mon voyage en Bretagne pour me rendre à Bayeux, en Normandie. Je tenais absolument à voir la célèbre Tapisserie (ou broderie plutôt mais j’y reviendrai plus tard) et pour le coup, je n’ai pas du tout été déçue. Je n’étais pas autorisée à prendre des photos dans le Musée même sans flash mais je peux vous assurer qu’elle est parfaitement mise en valeur. La pièce dans laquelle elle est exposée, est plongée dans le noir mais la Tapisserie sous verre est quant à elle bien éclairée. A l’origine enroulée, elle est aujourd’hui entièrement déroulée et sa trame suit la forme d’un ovale. Au cours de la visite, un audio guide est disponible notamment pour expliquer le contexte de sa création, son histoire, les scènes représentées et la traduction du latin (même si le texte, dans le cas présent, était parfaitement accessible pour un débutant : c’est du latin médiéval et non du Cicéron!).

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Scène 32 : La comète de Harley apparue en mai 1066 dont la traduction en latin (Isti mirant stella) signifie : « Ceux-ci admirent l’étoile ».

Et comme j’aime bien garder un souvenir de mes visites, je me suis procurée ce petit livre de Pierre Bouet, spécialiste du latin médiéval et des historiographes de la période anglo-normande des XI-XIIème siècle. J’adore aussi cette collection Histoire d’Ouest France pour laquelle, je n’ai jamais été déçue. Si le livre est court, son contenu très condensé apprendra à son lecteur l’essentiel de ce qu’il doit savoir sur la Tapisserie de Bayeux. Bien illustré par des cartes, des arbres généalogiques et des photos, il se veut clair et précis. Bref, il s’agit d’un très bon complément à la visite du Musée de Bayeux.

Une broderie davantage qu’une tapisserie

En introduction, je vous disais qu’il ne s’agissait pas d’une Tapisserie mais d’une broderie. Il s’agit en réalité de plusieurs pièces de lin brodées et cousues ensemble pour atteindre une longueur totale de 70 mètres de long. Des morceaux datant du XIXème siècle ont été rajoutés dans la partie supérieure pour non seulement la renforcer mais aussi numéroter toutes les scènes (il y en a cinquante-huit au total). Vous pouvez consulter la totalité de la « Tapisserie » de Bayeux sur sa page Wikipédia.

Datant du XIème siècle, la « Tapisserie » décrit la conquête de l’Angleterre par Guillaume, Duc de Normandie, en deux parties  :

Elle raconte d’abord l’ambassade de Harold en Normandie et l’expédition militaire de Guillaume en Bretagne, vers 1064. On voit ensuite Harold prêter un serment au Duc de Normandie. Puis sont évoqués la mort d’Edouard et le couronnement de Harold comme Roi d’Angleterre (6 janvier 1066). La seconde partie montre les préparatifs de l’invasion, la traversée de l’armée normande et le déroulement de la Bataille de Hastings, qui s’achève par la mort de Harold. (P. 3)

Si le récit historique prend place au centre de la broderie, sur ses bords supérieur et inférieur figure un remarquable bestiaire d’animaux domestique, sauvage et fantastique. Aujourd’hui, leur symbolique est perdue mais, on peut identifier quelques références aux fables d’Esope comme le Corbeau et le Renard ou le Loup et l’Agneau, par exemple dans la scène 4. On sait que la morale de ces fables condamnait la fourberie et la trahison.

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Scène 4 : Départ de Harold pour la Normandie dont la traduction du texte latin (Hic Harold mare navigavit) signifie : « Ici, Harold prend la mer ». En bas, sont figurés le Corbeau et le Renard ainsi que le Loup et l’Agneau.

Une oeuvre de propagande

En 1066, Le Roi d’Angleterre, Édouard le Confesseur, meurt. Il avait nommé son cousin Guillaume et Duc de Normandie pour lui succéder. Mais, le beau-frère du roi défunt, Harold ne l’entend pas de cette oreille. Soutenu par les Lords Anglais, il monte sur le trône. Guillaume décide alors de traverser la Manche pour aller conquérir ce qui lui revient de droit. L’affrontement a lieu à Hastings et se solde par la mort d’Harold ainsi que la victoire du Duc de Normandie. Dans ce contexte, les Anglais ne font pas bon accueil aux Normands puisque de nombreuses révoltes vont émailler le début de règne de Guillaume, entre 1067 et 1070. Ce dernier a alors besoin de se légitimer en tant que roi, voulu par Dieu. Il commande à son demi-frère Odéon de Conteville et évêque de Bayeux, une oeuvre qui aura pour but de célèbrer la bravoure des Normands autant que celle des Anglais, dans un climat de réconciliation. Pour exemple, Harold bien qu’il ait trahi Guillaume est représenté sous un jour favorable, dans la scène 17 :

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Scène 17 : Harold sauve un Anglais et un Normand des sables mouvants

Un témoignage important de la société anglo-normande du XIème siècle

Il existe de nombreuses sources écrites des contemporains du règne de Guillaume le Conquérant (Le poème Chant sur la bataille d’Hastings de Guy d’Amiens en 1068 ou une biographie de Guillaume de Poitiers vers 1075) ou d’historiographes postérieurs (Le Roman de Rou de Wace, Chanoine de Bayeux ou Chronique des Ducs de Normandie de Benoit de Sainte-Maure, au XIIème siècle). Mais, il arrive aussi que la «Tapisserie » de Bayeux relate des faits non rapportés par ailleurs comme les sièges de Rennes et de Dinan, dans les scènes 18 à 20 :

Tapisserie de Bayeux - Scène 19 : le siège de Dinan
Scène 19 : Siège de Dinan dont le texte en latin (Hic milites Willelmi Ducis pugnant contra Dinantes) signifie : « Ici, les soldats du Duc Guillaume combattent les habitants de Dinan ».

Elle permet également d’en savoir plus sur la vie quotidienne à l’époque que ce soit au niveau de l’armement, des vêtements portés, des moyens de transports (bâteaux, chevaux, etc…), de la représentation des villes ou de l’architecture de ses bâtiments, etc…

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Scène 38 : Représentation d’un bâteau normand lors de la traversée de la Manche.

Par exemple, ce bâteau normand à la proue et à la poupe relevées en forme de dragon (dreki en norrois qui a donné par la suite le mot drakkar) est typiquement scandinave.

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Scène 26 : Inhumation du corps d’Edward le Confesseur à l’abbatiale Saint Pierre de Westminster dont le texte en latin (Hic portatur corpus Eadwardi Regis ad ecclesiam sci Petri apli) signifie : « Ici, le corps du Roi Edward est porté à l’église Saint Pierre l’Apôtre ».

L’abbatiale de Westminster consacrée par Edward, en 1065, est représentée de manière réaliste avec un chœur à gauche, une tour lanterne au centre et une nef à arcades à droite. Elle est basée sur le modèle de l’abbatiale de Jumièges.

Pour finir, il manque une scène à la « Tapisserie » de Bayeux : on peut aisément en déduire qu’elle devait contenir celle du couronnement de Guillaume le Conquérant, peu après la Bataille d’Hastings. Pierre Bouet avance deux hypothèses : la première serait le non-achèvement de la « Tapisserie » en raisons de troubles politiques à partir de 1070 et la seconde ferait état d’une déchirure du fait de son enroulement et de son déroulement au cours des siècles.

En conclusion, la « Tapisserie » de Bayeux mérite bien sa renommée : impressionnante autant par la qualité de son exécution, la beauté de ses broderies, cette oeuvre de propagande à l’origine se veut aujourd’hui une source exceptionnelle sur la vie quotidienne des Anglo-saxons du XIème siècle. Le court ouvrage de Pierre Bouet lui rend parfaitement hommage et délivre de manière synthétique à son lecteur toutes les clefs de compréhension de l’oeuvre.

18 commentaires

  1. Encore un article très intéressant. Je n’ai jamais eu l’occasion de voir cette fameuse tapisserie et je ne savais pas grand chose de son histoire. Me voilà plus instruite (et motivée pour aller la voir en vrai ^^) Merci à toi ! 🙂

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  2. En tant que normande, je ne peux être que d’accord avec toi. J’espère que tu as pu visiter le chateau de Guillaume a falaise (juste a côté de chez moi) ou celui de Caen (j’habitais juste en face quand j’etais etudiante). L’histoire de Guillaume est fascinante et la broderie en est le témoin.

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    • En fait, je ne suis restée qu’une seule journée en Normandie : nous sommes allés à Bayeux puis à Omaha Beach. Je n’ai donc pas eu l’occasion d’aller voir le château de Guillaume. Cela me donne donc un prétexte pour y retourner. Je ne savais pas que tu étais originaire de Normandie.

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  3. Eh bien grâce à toi j’ai appris des choses sur cette tapisserie !! 🙂
    J’en avais déjà vu des extraits, mais je ne l’ai pas vue en vrai. Ça a dû être un rude travail pour la fabriquer… comme pour la déchiffrer, des siècles plus tard !
    A bientôt 😀

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    • Non au contraire, c’est du latin médiévale, c’est très facile. Après, pour ceux qui ne parlent pas latin, il y a toutes les traductions sur l’article de Wikipédia. Pour ma part, je m’en suis servie seulement pour retrouver les scènes. Sinon, je suis contente que cet article t’ait plu!

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  4. Ecoute, je reste bouche bée devant un tel article. Je connaissais cette tapisserie simplement de nom et l’avais aperçue ici et là, mais c’est bien la première fois que je découvre cette formidable oeuvre. Et quel cours d’histoire. C’était passionnant. Merci beaucoup!!! 🙂

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