Station Métropolis, Direction Coruscant d’Alain Musset

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Quatrième de couverture : 

Depuis la fameuse Metropolis de Fritz Lang jusqu’à la cité-planète de Coruscant dans Star Wars, en passant par les mégalopoles étouffantes de Soleil vert ou Blade Runner, les villes du futur, réelles ou imaginaires, semblent concentrer les maux : démesure et surpopulation, violence et oppression, pollution et ghettoïsation… La science-fiction aurait-elle peur des villes ? N’y aurait-il de salut que dans leur destruction ?
Telles sont les interrogations soulevées par Alain Musset, géographe et directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, qui nous livre ici un ouvrage référencé et engagé. Alors que les prévisions indiquent que deux personnes sur trois habiteront dans des centres urbains à l’horizon 2050, il devient crucial de déterminer comment mieux habiter et vivre ensemble. Or en la matière, la science-fiction sait nous indiquer le chemin pour ne pas faire des villes un enfer sur Terre…

Editeur : Le Bélial

Nombre de pages : 272

Prix : 16,90€

Date de publication : 24 Octobre 2019

Mon Avis : 

Honnêtement, je ne garde pas un souvenir impérissable de mes cours de géographie urbaine à l’université (nan, mais quelle idée d’imposer des cours de géographie à des Historiens!). Aussi, quand j’ai vu ce titre du Bélial dans la Masse critique de Babélio (que je remercie au passage pour l’envoi du livre), je me suis dite que cela serait peut-être plus fun d’étudier la géographie urbaine par le biais de la Science Fiction. Et après ma lecture, je confirme : ça l’est carrément!

Dans Station Metropolis, Direction Coruscant, le géographe Alain Musset met en avant deux types de villes représentatives de la Science Fiction :

  • Les Villes imaginaires comme Métropolis du film éponyme de Fritz Lang sorti en 1927 dont la célèbre tour de Babel orne la couverture ou Coruscant, capitale de la République puis de l’Empire dans les films Star Wars sortis de 1977 à 1983.
  • Les Villes réelles mais dystopiques comme Los Angeles de Blade Runner de Philip K. Dick (roman) et de Ridley Scott (film), Détroit de Robocop de Paul Verhoeven (film), New York de Soleil Vert d’Harry Harrison (roman) et de Richard Fleischer (film), Séoul de Cloud Atlas de David Mitchell (roman) et de Lana et Wes Wachowski (film) ou Londres de La Guerre des mondes de H. G. Wells (roman) et Byron Hastings ou de Steven Spielberg (film).

Puis, il étudie leur géographie en partant de leur morphologie urbaine et de son évolution (Partie 1 : De la Mégalopole à la Monstruopole) pour aborder leur population (Partie 2 : Castes et classes dans la ville de demain) et leur manière d’occuper l’espace et de se le représenter (Partie 3 : Géographies de la peur) pour finir sur la gestion et le contrôle de ce territoire (Partie 4 : Villes sous contrôle).

Station Metropolis, Direction Coruscant est un ouvrage bien documenté…

Alain Musset est spécialisé en Géographie urbaine, notamment des espaces urbains en Amérique Latine (surtout le Mexique) et en Géo-Fiction pour ce qui concerne des villes imaginaires présentes dans les ouvrages de Science-Fiction. Toutefois, Station Metropolis, Direction Coruscant n’est pas son premier essai car il avait déjà publié des ouvrages sur ce thème comme en 2005, De New York à Coruscant, essai de géo-fiction ou en 2012, Le syndrome de Babylone, Géofictions de l’Apocalypse. 

Il s’avère que Station Metropolis, Direction Coruscant est pointu, précis et complet comme en témoigne non seulement la bibliographie exhaustive de douze pages à la fin de l’ouvrage mais aussi les très nombreuses références dans le texte de livres ou de films appartenant au genre de la Science Fiction. Le géographe n’hésite pas à faire des comparaisons entre la Science Fiction et notre réalité : par exemple, lorsque Minority report aborde le sujet de l’identification des individus par reconnaissance faciale dans l’espace public, Alain Musset le compare avec la situation de la Chine actuelle qui utilise également ce procédé pour contrôler ses citoyens.
Toutefois, j’aurais juste un petit bémol à formuler : l’auteur doit considérer que son ouvrage s’adresse à des connaisseurs dans le genre de la Science Fiction et a un peu tendance à spoiler l’intrigue de certains romans ou films (comme la fin de Soleil vert par exemple), j’ai trouvé cela dommage.

…de Géographie urbaine appliquée à la Science Fiction…

Alain Musset démontre qu’il est tout à fait possible d’étudier les villes fictives comme le géographe pourrait le faire avec des villes réelles :

  • En effet, il peut utiliser le même vocabulaire spécifique. Par exemple, la plupart des villes de Science Fiction se caractérise par le fait qu’elles sont gigantesques : on peut leur appliquer le terme de « mégapole », littéralement «  grande ville ». On pourrait citer Los Angeles dans Blade Runner ou New York dans Soleil Vert. Mais, certaines villes grossissent tellement qu’elles finissent pas se regrouper et former des « mégalopoles » comme c’est le cas de Washington, Philadelphie, Baltimore et New York dans des Cavernes d’acier d’Isaac Asimov. Enfin, « l’Oecuménopole » est un autre concept qui désignerait le fait que toutes les villes d’une planète se seraient rejointes et formeraient une « ville-monde » comme Coruscant dans Star Wars, Trantor dans le cycle de Fondation d’Isaac Asimov ou Tau Ceti Central dans Hypérion de Dan Simmons.
  • Le géographe peut également compter sur des modèles déjà pré-existants :
    – Les villes verticales. Il s’agit de constructions en hauteur dans lesquelles la population se répartit en fonction de son niveau social. Par exemple, à Coruscant dans Star Wars, les plus riches habitent en haut des immeubles car ils bénéficient de plus de lumière, d’espace et d’air pur tandis que les plus modestes sont relégués en bas, dans la pollution, la promiscuité et l’obscurité.
    Les villes fragmentées. L’espace urbain est éclaté en plusieurs fragments, c’est à dire en quartiers bien délimités (avec des murs ou des frontières) et hiérarchisés dans lesquels les populations ne sont pas libres de circuler de l’un à l’autre. Par exemple, dans la série Trepalium, la cité d’Aquaville est divisée en deux par un mur séparant ainsi les quartiers riches du bidonville.

… et montre que les villes fictives sont le reflet des peurs de notre société actuelle.

Ce qui est assez paradoxal, c’est que plus de la moitié des habitants de la Terre vit en ville (et ce taux atteindra presque 65% en 2050) et pourtant, l’espace urbain comme lieu de vie est décrié depuis longtemps par des discours urbanophobesDès l’Antiquité, par exemple, le poète romain Juvénal fustigeait déjà la ville de Rome au Ier siècle après Jésus-Christ pour sa violence et sa saleté.

Spécialiste en histoire contemporaine, Arnaud Baubérot et Florence Bourillon ont préféré utiliser le mot « urbaphobie » mais le constat reste identique : les sociétés occidentales ont longtemps méprisé les grandes agglomérations, préférant idéaliser les modes de vie ruraux et parer de toutes les vertus les robustes habitants de la campagne. (P. 14-15)

Or, Alain Musset constate que cette vision pessimiste des villes est amplifiée dans les récits de Science Fiction : elles seraient ainsi polluées (le brouillard permanent de la ville de Los Angeles, dans Blade Runner), avec peu d’espaces verts (Coruscant dans Star Wars), surpeuplées (dans le New York de Soleil vert, la population meurt de faim), pratiquent la ségrégation spatiale (voir ci-dessus les concepts de villes verticales et villes fragmentées), sont violentes (Robocop sécurise  la ville de Détroit en proie aux criminels de tous genres) ou restreignent les libertés (avec la « panoptique », c’est à dire le fait de contrôler les habitants comme la Tour de Babel dans Metropolis surveille les ouvriers). Ainsi, l’espace urbain est maîtrisé par le pouvoir et de ce fait peut glisser vers la dictature (1984 de George Orwell). Cet aspect négatif dans les récits de Science Fiction cristallise en réalité les peurs de notre société actuelle. Cette façon d’imaginer le pire dans le futur est un moyen d’amener les lecteurs à non seulement prendre conscience que des dérives sont possibles mais aussi de l’amener à réfléchir à des solutions. 

En conclusion, Alain Musset a fait le pari osé d’étudier les villes issues de la Science Fiction par le prisme de la Géographie Urbaine. J’ai trouvé cette idée plutôt audacieuse et finalement très aboutie car cet ouvrage est complet, fouillé et recherché. De plus, il met en valeur le fait que la Science Fiction permet de réfléchir aux travers de notre société tout en aidant les lecteurs à trouver des solutions pour faire en sorte que nos villes actuelles ne deviennent pas aussi cauchemardesques. Bref, à mettre entre toutes les mains et pas seulement entre celles des étudiants géographes (et historiens!).

Autres avis : 

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L’épaule d’Orion

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19 commentaires

  1. Merci beaucoup! Et désolé pour le spoil de Soleil Vert. J’essaie toujours de ne rien dévoiler mais je me suis dit que pour un film de 1973 devenu un classique du genre, ce n’était pas si grave…

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  2. Il semble vraiment passionnant ! J’ai vu un reportage dernièrement sur l’identification des individus par reconnaissance faciale en Chine, flippant… La réalité rejoint la SF, c’est certain !

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  3. Si je me souviens bien, Tau Ceti d’Hypérion reste plus « ouverte », avec plus d’espace de déploiement qu’une oecuménopole telle que tu la définis. Car elle peut s’étendre sur de nombreux lieux grâce aux portails spatiaux. Je me souviens de la villa du poète dont chaque pièce était située sur un monde différent.
    Merci pour la découverte en tout cas

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    • Après les concepts géographiques ne sont pas très difficiles à appréhender non plus. En revanche, je suis en train de lire un autre livre de la collection, La science fait son cinéma et je n’ai pas beaucoup de culture scientifique en « sciences dures ». Là, je dois dire que je galère un peu par moment.

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