L’examen de Richard Matheson #ProjetOmbre

Quatrième de couverture : 

Que diriez-vous si votre père, comme toutes les personnes de plus de 60 ans, devait passer régulièrement un test qui détermine si sa vie offre encore quelque intérêt pour la communauté ? En 2003, dans une société régie par la productivité, les personnes âgées ne peuvent être un  » poids  » pour les actifs. Aussi, passé un certain âge, chacun est contraint par la loi de passer un examen pour évaluer ses aptitudes intellectuelles et physiques et dont le résultat déterminera la suite de son existence…
A l’heure où nos sociétés occidentales contemporaines sont confrontées au vieillissement de la population et à la  » gestion  » des personnes non autonomes, il est urgent de relire Richard Matheson et sa vision des dérives d’une société gouvernée par l’utilitarisme économique qui peine de plus en plus à cohabiter avec ses aînés.

Editeur : Le passager clandestin – Collection Dyschronique

Nombre de pages : 50

Prix : 5,00€

Date de publication : 21 Novembre 2019

Mon Avis :

J’ai découvert la collection Dyschronique du Passager clandestin grâce à la Blogosphère et notamment le Bibliocosme (Dionysos), L’Epaule d’Orion et des Chroniques du Chroniqueur. Suite à leur chronique enthousiaste, j’ai décidé de franchir le pas et lire ce mois-ci les deux titres que j’avais achetés à savoir Destination fin du monde de Robert Silverberg et L’examen de Richard Matheson. Du second auteur, j’avais eu un coup de coeur pour Je suis une légende. En ce qui concerne la nouvelle L’examen, j’ai beaucoup apprécié ce texte dont les idées résonnent encore aujourd’hui.

En 2003, Tom Parker vient de fêter ses quatre vingt ans. Cet anniversaire aurait pu être l’occasion d’un évènement heureux mais il n’en est rien. Car comme toutes les personnes de son âge encore en vie, il doit passer un examen tous les cinq ans. S’il échoue, il recevra une convocation pour être euthanasié, s’il réusssit, il pourra vivre cinq ans de plus. Or, Tom est fébrile car il sait que ses capacités ont diminué. Bien que son fils Leslie surnommé Les chez qui il vit tente de le préparer aux différentes épreuves, il doute…

Une Dystopie ou une Dyschronie?

Cette nouvelle a été écrite par Richard Matheson dans les années 50 (elle a été publiée pour la première fois en 1954 aux Etats-Unis et en 1957 en France) mais décrit des évènements qui surviennent dans un futur imaginé en 2003. Pour les années 50, il s’agissait donc d’une dystopie dans laquelle la société doit faire face non seulement à une surpopulation mais aussi à une diminution des ressources naturelles. L’Etat a décidé de réguler la population en visant essentiellement la catégorie des personnes âgées. Elle a ainsi fait voter une loi laissant deux choix :

  • Soit les enfants signent une demande de décharge pour que le parent soit géré par l’Etat à partir de 65 ans. Mais, l’issue pour le parent est la mort immédiate.
  • Soit les aînés passent un examen d’aptitude tous les cinq ans. S’ils réussissent, ils peuvent vivre cinq ans de plus, s’ils échouent, ils seront convoqués pour se faire euthanasier.

La vie poursuivait son cours habituel. Personne ne parlait de mourir. L’Administration envoyait des convocations, on subissait un examen, et ceux qui échouaient étaient sommés de se présenter au centre administratif pour leur injection. La loi fonctionnait, le taux de mortalité était stable, le problème de la surpopulation jugulé – le tout de façon officielle, impersonnelle, sans hauts cris ni scandale. (P. 13-14)

Pour nous aujourd’hui, la nouvelle L’examen s’apparenterait davantage à une dyschronie car le futur imaginé dans les années 50 non seulement n’a pas eu lieu mais appartient aussi désormais au passé. Toutefois, cette nouvelle peut aussi nous faire réfléchir sur le statut des personnages âgées dans notre société actuelle : la hausse globale du niveau de vie couplée à une meilleure prise en charge médicale ont fait que l’espérance de vie a augmenté. Les Humains vivent donc plus longtemps et tant qu’ils gardent une autonomie même à un âge avancé, le problème ne se pose pas. Mais qu’en est-il justement face à une perte d’indépendance? Se pose alors le problème de la prise en charge : rester à son domicile avec une aide au quotidien? Intégrer le foyer de ses enfants alors même qu’ils n’ont peut-être pas forcément les conditions matérielles d’accueil? Aller en maison de retraite malgré les coûts prohibitifs et l’accompagnement pas toujours satisfaisant? Pendant la crise sanitaire justement, ces établissements n’ont-ils pas montré leurs limites? Et le gouvernement n’a-t’il pas non plus une responsabilité dans la prise en charge des personnes âgées?

Une nouvelle émouvante…

Dans ce futur imaginé dans les années 50, la famille polynucléaire est la norme, c’est à dire que trois générations vivent sous le même toit (à l’inverse de la famille mononucléaire qui est majoritaire dans notre société actuelle avec un couple et ses enfants). Mais, la cohabitation est difficile entre Tom Parker, son fils Leslie et sa belle-fille Terry :

  • Tom Parker a perdu sa femme dans un accident quelques années auparavant. Son fils a refusé de signer la demande de décharge et Tom doit passer tous les cinq ans l’examen. Bien qu’il se voile la face en rouspétant et voulant rassurer sa famille, il connaît cette fois l’issue du test. Et il a conscience d’être devenu un poids pour sa famille.
  • Les quant à lui est partagé entre deux sentiments : s’il ne supporte plus la cohabitation avec son père car sa présence le met en difficulté (Tom fouille dans la maison, remet en question l’éducation donné à ses petits-enfants, est maladroit et casse des choses, etc…), il ressent de l’empathie à l’égard de son père et culpabilise.

Si seulement il pouvait oublier le passé et prendre son père pour ce qu’il était à présent : un vieillard impotent, radoteur, qui leur gâchait la vie. Mais il était difficile d’oublier les randonnées dans la campagne, les parties de pêche, les longues conversations le soir venu et toutes les joies qu’ils avaient partagées. (P. 19)

En peu de pages, Richard Matheson a réussi à croquer des personnages très humains pointant d’un côté leur force et de l’autre, leur faiblesse. Le lecteur est ainsi partagé entre la détresse ressentie par le vieil homme condamné par la société et le besoin d’indépendance de son fils qui souhaiterait vivre une vie tranquille avec sa femme et ses enfants. C’est un texte qui fait réfléchir et bien qu’il s’agisse d’une dyschronie, il nous renvoye à notre propre questionnement : comment gèrerons-nous nos propres parents lorsqu’ils seront en perte d’autonomie et comment serons-nous nous-mêmes gérés quand ce moment fatidique arrivera dans quelques années?

… mais qui fait référence aux heures les plus sombres de notre Histoire.

Voilà pourquoi il [Leslie] n’avait jamais eu le courage de signer la demande. Il ne s’agissait que de remplir un formulaire, d’une procédure les plus simples, beaucoup plus simple que d’attendre le retour de cet examen tous les cinq ans. Mais cela aurait signifié l’arrêt de mort de son père, le droit pour l’Etat de se débarrasser de lui comme d’un déchet. Il ne pourrait jamais s’y résoudre. (P. 20)

La politique mise en oeuvre par la société décrite dans L’Examen afin de contrer la surpopulation, s’appuie sur l’Eugénisme. Il s’agit d’une théorie mise au point au XIXème siècle selon laquelle les membres « les plus faibles » d’une société doivent être éradiqués afin de la renforcer et d’assurer la survie du groupe entier.
Or, L’examen a été écrit dans les années 50 soit moins de dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Il est donc probable que Richard Matheson se soit inspiré de l’Allemagne nazie pour décrire sa société dystopique. En effet, dès 1939, Hitler décrète le programme Aktion T4 qui vise les « malades incurables, des handicapés physiques ou mentaux, émotionnellement perturbés et des personnes âgées ». Ces derniers sont alors regroupés dans six centres allemands pour y être gazés (ce programme est aussi à l’origine de la « logistique » qui sera plus tard utilisée dans le cadre de la Solution Finale et qui visera quant à elle les Juifs, les Tziganes, les homosexuels et les opposants politiques). Sous la pression de l’opinion publique, ce programme s’achèvera officiellement en 1941 mais officieusement, les personnes visées continueront à être exécutées jusqu’en 1945. Les Historiens estiment que 250000 personnes sont mortes dans le cadre du programme Aktion T4.

En conclusion, L’examen est un texte émouvant, cynique et cruel qui décrit une société dystopique du début des années 2000. Pour réguler sa population, cette dernière s’appuie alors sur les idées eugénistes en cours au XIXème siècle et s’inspire du programme nazi Aktion T4 qui visait entre autres les personnes âgées. Finalement, cette version de notre passé en 2003 ne s’étant pas produite (ce qui fait de L’examen, une dyschronie), la nouvelle amène tout de même le lecteur à réfléchir sur la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie. Or, la crise sanitaire a touché de plein fouet les EHPAD causant une explosion du taux de mortalité dans ces établissements. Dès lors, on peut légitimement se demander s’il ne serait pas urgent de réfléchir à de nouvelles situations d’accueil…

Cette nouvelle participe au #ProjetOmbre

13 commentaires

  1. Rolala tes chroniques c’est quand même un autre niveau *-* je connaissais pas mais comme je suis en train de lire un livre de l’auteur (la maison des damnés) ça m’a interpellé (d’ailleurs, contrairement à je suis une légende, je l’aime bien celui la pour l’instant !). N’empêche la nouvelle a l’air méga intéressante !
    Kin

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  2. Magnifique chronique pour un texte que je trouve très angoissant rien que par ce que tu en dis.. Mais effectivement ça pousse à réfléchir sur la façon dont on traite nos aînés même aujourd’hui. Merci pour cette découverte !

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  3. Je l’avais lue pour le Maki Project l’année dernière et cette nouvelle m’avait beaucoup plu (et interrogée). Cette collection Dyschroniques au Passager clandestin est une chouette alternative à la collection Une heure lumière du Bélial 😉

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  4. Le thème est en effet très actuel même si la futur du récit est déjà passé. Il y a effectivement un drôle d’écho avec la pandémie actuel, les choix parfois fait entre les patients par exemple et la question de l’utilité économique de plus en plus centrale dans nos sociétés. Merci pour la découverte!

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