Toutes les saveurs de Ken Liu #S4F3

Quatrième de couverture : 

Idaho City, en pleine fièvre de l’or. Les temps sont à la conquête. De l’Ouest, bien sûr. De la fortune, surtout. Prospecteurs, commerçants, banquiers, filles de petite vertu, bandits et assassins s’agrègent en une communauté humaine au goût de mauvais whisky et à l’odeur de poudre. Et puis il y a ce petit groupe de prospecteurs chinois. Qui vivent entre eux, s’entassent dans des baraquements minuscules, et font planer sur la ville les effluves de leur cuisine aux saveurs aussi épicées qu’inconnues.
Lily, la fille de leur propriétaire, est fascinée par ces étrangers aux coutumes impénétrables. Et par l’un d’entre eux en particulier, un géant au visage rouge et à l’immense barbe, Lao Guan, qui lui apprend les mystères du wei qi et lui raconte des récits stupéfiants, les aventures de Guan Yu, le dieu de la guerre, de Lièvre roux, son cheval de bataille, et de Lune du dragon vert, sa fidèle épée.
Guan Yu, qui fait face à l’injustice et à la trahison dans cette Chine impériale fabuleuse. À l’image de Lao Guan, dans cette Amérique en gestation.

Editeur : Le Bélial – Collection Heure Lumière

Nombre de pages : 124

Prix : 9,90€

Date de publication : 20 Mai 2021

Mon Avis : 

Dès que je vois passer une nouvelle parution de Ken Liu, vous pouvez être sûr qu’elle va rapidement rejoindre ma PAL (et ne pas y rester très longtemps!). Et ce d’autant plus que la novella Toutes les saveurs a été publiée dans le cadre de la collection UHL du Bélial (si ce n’est pas déjà fait, je vous conseille vivement la lecture de L’Homme qui mit fin à l’Histoire et Le regard du même auteur). Pour en revenir à Toutes les saveurs, je l’ai beaucoup apprécié. 

En 1865, Lily vit avec ses parents dans la ville d’Idaho City, dans l’ouest américain. Originaire de la côte est et blessé pendant la Guerre de Secession, son père a décidé de tout quitter pour entreprendre une nouvelle vie de self made man de l’autre côté des Etats-Unis. La vie à Idaho City est rude d’autant plus qu’un incendie criminel vient de ravager une grande partie de la ville. Pour s’en sortir, les parents de Lily décide de louer des chambres à des immigrés chinois. Si au départ, la petite fille est très impressionnée par le géant au visage rougeaud Lao Guan surnommé Logan, elle va peu à peu se retrouvée attirée par cette communauté étrange, à la nourriture si exotique et aux contes envoûtants. 

Une novella entre Conte folklorique…

La novella Toutes les saveurs possède deux intrigues : l’une historique qui se déroule en 1865 et sur laquelle, je reviendrai plus bas et le récit enchâssé d’un conte rapporté en plusieurs épisodes par Lao Guan à la petite fille Lily :

  • À l’origine, il s’agit d’un fait historique avéré qui s’est déroulé en Chine au II-IIIème siècle après J.-C. Guan Yu était un guerrier réputé invincible dont les compétences martiales indéniables et son courage l’ont fait rentré dans la légende. Ses hauts faits ont fait l’objet de récits épiques qui se sont transmis oralement de génération en génération jusqu’à ce qu’il soit divinisé en Dieu de la Guerre au VI-VIIème siècle après J.-C. Aujourd’hui, il porte le nom de Guandi et apparaît toujours dans la religion bouddhiste. 
  • C’est ce conte qui permet de raccrocher la novella au genre de l’Imaginaire notamment par le fait que Guan Yu ait été exécuté mais que son corps a disparu (du coup, on ne sait pas s’il est réellement mort), sa divinisation en dieu de la guerre par la suite et sa similarité physique avec le narrateur Lao Guan. Le lecteur se pose donc la question par moment si ce dernier ne serait pas Guan Yu ou du moins, sa réincarnation. 

… et Récit historique…

Dans ses novellas, il n’est pas rare que Ken Liu fasse référence à l’Histoire de ses origines : il est né à Lanzhou en Chine et a immigré aux Etats-Unis lorsqu’il avait onze ans. J’apprécie particulièrement cet aspect qui donne plus de profondeur à son récit. 

  • Dans L’Homme qui mit fin à l’Histoire, il aborde l’Unité 731 développée par les Japonais dans les années 30 près de Harbin en Chine afin de procéder à des expérimentations sur les armes bactériologiques. Environ 500000 personnes d’origine chinoise, russe ou coréenne serviront de cobayes à ces essais et succomberont. Pour en savoir plus, je vous renvoye à ma chronique d’origine. 
  • Dans Toutes les saveurs, il reprend l’histoire des immigrés chinois venus aux Etats-Unis au XIXème siècle. Ken Liu, à travers l’histoire de Guan Yu, dénonce ainsi leur condition de vie : fortement endettés suite à leur traversée de l’Océan Pacifique en bateau, ces travailleurs chinois devaient ensuite rembourser leur dette en travaillant pour une bouchée de pain sur les lignes de chemins de fer. Leur travail harassant et pénible s’apparentait à de l’esclavage d’autant plus qu’il n’était pas rare qu’ils subissent des coups et des injures de la part des gardiens du chantier. Guan Yu refuse alors ces conditions et décide de s’enfuir avec des compagnons à Idaho City. 

… qui aboutit sur une note positive.

Ici, c’est chez moi, dit-il en lui souriant. C’est ici que j’ai fini par trouver toutes les saveurs du monde, la douceur et l’amertume, le whisky et l’alcool de sorgho, l’excitation et l’agitation d’une nature sauvage où vivent des hommes et des femmes aussi beaux qu’indomptés, la paix et la solitude d’une frontière à conquérir – bref, l’encouragement qui est le goût de l’Amérique. (P. 122)

Ken Liu n’omet pas de rappeler que les conditions ne devaient pas être faciles pour ces immigrés chinois confrontés au déracinement et au racisme de la part des Américains. Toutefois, son récit se veut positif et aboutit finalement sur une note de tolérance et d’ouverture sur l’autre. Les contes de Lao Guan vont permettre à Lily de fuir un quotidien ennuyeux tandis que la cuisine chinoise aux effluves exotiques vont attirer son père curieux. Si le titre Toutes les saveurs fait tout d’abord référence aux cinq goûts utilisés dans la cuisine chinoise (le sucré, l’amer, le salé, l’aigre et le piment), il possède aussi un double niveau de langage et personnifie finalement l’adaptation de Lao Guan à cette nouvelle vie. 

En conclusion, Ken Liu réussit une nouvelle fois à emporter son lecteur grâce à ses talents de novelliste hors pair. Son univers est bien développé entre Conte folklorique chinois (les exploits du Guerrier Guan Yu divinisé par la suite) et récit historique (l’arrivée des immigrés chinois aux Etats-Unis au XIXème siècle). Il réussit à capter l’attention de son lecteur (même si les férus de SFFF risquent peut-être d’être un peu frustrés par l’aspect minimaliste de l’Imaginaire) tout en dénonçant les conditions de vie de ces immigrés et le racisme auxquels ils ont dû faire face. Toutefois, il finit sur une note positive sur la tolérance, l’ouverture et l’acceptation de l’Autre qui nous fait le plus grand bien en ce moment. Bref, une novella à découvrir!

Autres avis : 

Au pays des cave trolls

Ombrebones

Yuyine

Cette novella participe au Challenge #S4F3

8 commentaires

  1. Tout à fait d’accord. Ken Liu est un conteur et c’est un formidable récit. Mais il en frustrera certaines et certains par l’aspect imaginaire si minime qu’on peut ne pas le remarquer.
    Merci pour le lien 🙂

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  2. […] Ken Liu réussit une nouvelle fois à emporter son lecteur grâce à ses talents de novelliste hors pair. Son univers est bien développé entre Conte folklorique chinois (les exploits du Guerrier Guan Yu divinisé par la suite) et récit historique (l’arrivée des immigrés chinois aux Etats-Unis au XIXème siècle). Il réussit à capter l’attention de son lecteur (même si les férus de SFFF risquent peut-être d’être un peu frustrés par l’aspect minimaliste de l’Imaginaire) tout en dénonçant les conditions de vie de ces immigrés et le racisme auxquels ils ont dû faire face. Toutefois, il finit sur une note positive sur la tolérance, l’ouverture et l’acceptation de l’Autre qui nous fait le plus grand bien en ce moment. Bref, une novella à découvrir! Vous pouvez retrouver ma chronique complète ici.  […]

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