Le voyage des âmes cabossées de Raphaël Bardas

Quatrième de couverture : 

Rien ne va plus à Morguepierre ! Tandis que des cadavres de sel s’éparpillent aux quatre vents, une rumeur parle du retour du terrible et mythique Navire des Ames cabossées. Au même moment, la flamboyante Margaux, intrigante horlogère aux cheveux rouges, réunit les chevaliers du Tintamarre, désormais à la retraite après avoir sauvé la ville, pour un voyage que seuls ces fous furieux oseront entreprendre : partir sur les traces d’un souvenir d’enfance.
L’appel de l’aventure, et leur increvable coeur sur la main, envoient donc nos trois compères par-delà les mers, du soleil brûlant d’El Cuento au froid mordant de Pointe-au-Sud. Mais alors qu’une implacable course-poursuite s’engage, les trois chevaliers prennent conscience que la réussite de leur mission cache un enjeu bien plus grand : la survie de leurs âmes. Dans Le Voyage des Ames cabossées, Raphaël Bardas revient dans l’univers baroque et décalé des Chevaliers du Tintamarre pour explorer cette fois le roman d’aventures et le conte philosophique.

Editeur : Mnémos

Nombre de pages : 384

Prix : 21,00€

Date de publication : 20 Août 2021

Mon Avis : 

Après avoir adoré Les Chevaliers du Tintamarre, l’année dernière, j’avais grand hâte de me replonger dans les aventures de nos trois compères. Emma Phooka et Dup du blog Book en stock m’en ont donné ainsi l’occasion grâce au « Mois de » consacré à Raphaël Bardas. Un grand merci à elles pour cette initiative et aux éditions Mnémos pour m’avoir envoyée ce Service Presse. J’ai une nouvelle fois beaucoup apprécié ma lecture. 

Deux ans après les évènements du premier opus, les Chevaliers du Tintamarre ne sont plus : leur titre leur a été retiré par le noble Cardoso père bien décidé à reprendre le rôle du Capitaine Korn. Quand aux trois compères, ils se sont séparés : le poissonnier La Morue a quitté Morguepierre et mène une vie itinérante, le charcutier Silas est devenu comédien sans grand talent et Rossignol le musicien a repris les rênes du Tintamarre, l’ancien lieu de rencontre privilégié de la bande. Mais quelques évènements viennent perturber leur morne quotidien : des cadavres changés en sel sont retrouvés ça et là à travers la ville dont celui d’un jeune garçon Joaquin disparu douze ans plus tôt et revenu à Morguepierre sans avoir vieilli. L’horlogère Margaux reprend espoir car son amour d’enfance Iago Balthazar avait précisément disparu en même temps que Joaquin. Elle demande alors à Rossignol de l’aider à retrouver son amour perdu : le chanteur tombé sous le charme ne peut refuser et va faire en sorte de recomposer le trio des Chevaliers du Tintamarre…

Des antihéros toujours aussi truculents…

Quel plaisir de retrouver La Morue, Silas et Rossignol dans leurs aventures rocambolesques! Et il faut dire que le trio fonctionne toujours aussi bien malgré leur caractère différent : le bagarreur et pas toujours très futé La Morue, le séducteur et fonceur Silas et Rossignol qui est la tête pensante des trois, toute proportion gardée bien entendu. A ce propos, le récit tourne souvent autour des pensées des trois comparses mais le portrait dressé par le pilote de moulin à vent Zingaro Sanchez est assez hilarant et permet de remettre les choses en perspective  : 

Je me lie d’amitié avec Rossignol. C’est vraiment un homme drôle. Il cache son manque d’éducation derrière une philosophie de la jouissance, une envie de vivre puissante. (…) Si mon amitié avec Rossignol, tout éthylique, musicale et philosophique, ne fait qu’accroître, je dois bien avouer que j’ai plus de mal avec les deux autres. La Morue semble déployer une énergie phénoménale pour s’occuper des animaux, mais il a transformé l’étage de meunerie, celui où ils dorment, en véritable cirque pour animaux. Je ne connais pas un seul élément de mobilier ou même de cuisine qu’il n’ait à une moment détourné pour amuser les poules ou Zinga [le mouton]. (…) Silas est celui qui me fatigue le plus. Lorsqu’il ne massacre pas un de mes airs préférés en torturant un luth, une guitare ou une mandurine, il ne cesse de jouer avec son épée et son hachoir à viande. Il ne tient pas en place. Demande plusieurs fois par jour s’il n’est pas possible de se poser pour prendre l’air. Ou au moins d’ouvrir une fenêtre. (P. 308-309). 

Vous l’aurez compris, le ton humoristique est toujours aussi présent dans Le voyage des âmes cabossées comme il en avait été de même dans Les Chevaliers du Tintamarre. Si le leitmotiv des trois compagnons est avant tout hédoniste (bien boire, bien manger et profiter d’une sexualité satisfaisante), il n’en reste pas moins qu’ils aiment également l’aventure et que s’ils peuvent distribuer au passage quelques baffes, ce n’est pas cela qui va les déranger le plus!

… qui s’embarquent dans une Odyssée rocambolesque…

Je ne sais pas du tout si c’est voulu de la part de l’auteur mais pour ma part, j’ai vu beaucoup de références à la mythologie gréco-latine dans le récit, du moins jusqu’au milieu du roman. La Morue, Silas et Rossignol accompagnent donc Margaux dans sa quête de son amour perdu (tel Orphée parti chercher Eurydice aux Enfers?) et croisent en chemin l’Arquebuse, le capitaine du terrible Navire des âmes cabossées (Charon chargé d’emmener les âmes des morts aux Enfers?). Au cours de leur périple sur mer (Ulysse dans l’Odyssée d’Homère?), ils vont croiser la route de personnages hauts en couleur comme des hommes poissons (référence à Pline l’Ancien?) ou des guerrières (référence aux Amazones?) qui chevauchent des taureaux (référence au mythe d’Europe enlevée par Zeus transformé en taureau?) et qui vont faire prisonnier nos trois héros et les enchanter (comme la magicienne Circé a fait de même avec l’équipage d’Ulysse). Seul Rossignol échappe au sort grâce au fait qu’il possède un don de double-vue. 
Je ne vais pas en dévoiler plus mais sachez que j’ai été emportée par cette aventure notamment car elle permet d’aller un peu plus loin dans la géographie de l’univers développé par Raphaël Bardas et l’on se rend compte que Morguepierre constitue en réalité une toute petite île. Si quelques passages sont un peu WTF (comme dans le premier opus d’ailleurs), j’ai beaucoup apprécié l’originalité de certaines idées notamment le moulin à vent comme moyen de transport. 

… et à double niveau de lecture. 

En effet, sur un premier niveau Le voyage des âmes cabossée est un roman d’aventure et peut se suffire à lui-même ainsi. Mais en réalité, en creusant un peu, il possède également une dimension philosophique très soutenue autour des thèmes de l’Amour, des Rêves et de la Mort. Et il semblerait que ces réflexions se rapprochent du courant épicurien lequel consiste finalement à se contenter des plaisirs simples de la vie et de ce que l’on a déjà. En effet, une personne qui possède des désirs impossibles à réaliser ne pourra pas réussir à trouver son bonheur. 

  • Margaux est prête à tout sacrifier pour retrouver son amour d’enfance Iago quitte à faire prendre des risques à Morguepierre en attirant le Navire des âmes cabossés ou en entraînant les Chevaliers du Tintamarre dans une quête peut-être perdue d’avance. Mais, ne court-elle pas après des chimères finalement? Cet amour ne paraît-il pas impossible au vu des rêves de Iago incompatibles avec ceux de Margaux? 
  • Iago, quant à lui, court après ses rêves sans finalement jamais réfléchir à la raison pour laquelle il le fait ni s’arrêter sur son parcours déjà accompli. Lui aussi est malheureux car finalement il n’atteint jamais son but : 

– Ça n’a pas de sens! opposa Silas. Pourquoi traquer son rêve pour le détruire?
– Sans doute parce qu’il est moins douloureux de détruire soi-même ses idéaux. Renoncer pour ne pas échouer.
– Gâche ta vie toi-même avant qu’un ôt’te la gâche, qu’elle disait, ma mère, ronchonna la Morue. (P. 348)

  • Quant à La Morue, Silas et Rossignol, ils sont toujours dans la recherche des plaisirs quelqu’ils soient. Certes, ils ne craignent pas la Mort en tant que disparition physique de leur enveloppe corporelle puisqu’ils montent sur le navire des âmes cabossés. Mais finalement, ils ne se sont pas rendus compte non plus qu’ils s’étaient enfermés dans une routine un peu morne, sans attrait et sans rêves depuis deux ans : ne s’agit-il pas aussi d’une autre forme de Mort finalement? (« Los muertos lo saben », les morts le savent).

En conclusion, Le voyage des âmes cabossées m’a semblé encore plus abouti que Les chevaliers du Tintamarre. Si l’humour est toujours présent, les personnages de La Morue, Silas et Rossignol truculents et attachants, leurs aventures aussi rocambolesques, j’ai le sentiment que ce second opus possède également beaucoup plus de profondeur que ce soit les références à la mythologie gréco-latine ou au courant philosophique épicurien (notamment autour des réflexions sur l’Amour, les Rêves ou la Mort). Bref, j’ai beaucoup aimé et j’espère lire très prochainement un nouvel ouvrage de Raphaël Bardas. 

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12 commentaires

  1. […] Le voyage des âmes cabossées m’a semblé encore plus abouti que Les chevaliers du Tintamarre. Si l’humour est toujours présent, les personnages de La Morue, Silas et Rossignol truculents et attachants, leurs aventures aussi rocambolesques, j’ai le sentiment que ce second opus possède également beaucoup plus de profondeur que ce soit les références à la mythologie gréco-latine ou au courant philosophique épicurien (notamment autour des réflexions sur l’Amour, les Rêves ou la Mort). Bref, j’ai beaucoup aimé et j’espère lire très prochainement un nouvel ouvrage de Raphaël Bardas. Vous pouvez retrouver ma chronique entière ici.  […]

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